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Pour trouver quelque chose de plus poétique que ces misères, il faut lire dans Lucain la description du festin donné à César par les souverains d’Egypte, Cléopâtre et son frère. La reine pliait sous le faix de ses ornemens. Le vin était bu dans de grandes coupes creusées dans des pierres gemmes :

Gemmaeque capaces
Excepere merum.


Rien n’y manque, pas même le vin mousseux chanté par Pindare. César est ébloui de cette magnificence; il a honte d’avoir fait la guerre à un pauvre, à un indigent comme Pompée ! C’est sans doute pour se relever de cette humiliation que le même capitaine se procura peu de temps après, dans les dépouilles de Juba, roi de Mauritanie, des tables de bois de citronnier incrustées de pierreries, et estimées dans les prix de un à deux millions de francs.

Les pierres précieuses ont donc été de tout temps en grande estime, et le seront sans doute tout autant dans les siècles à venir. Lorsqu’aux somptuosités des cours de l’Orient et des citoyens romains enrichis des dépouilles du monde on compare notre luxe moderne, nous avons l’infériorité sur bien des points, excepté pour les diamans. Si dans une des brillantes réunions actuelles des Tuileries on apprécie la valeur des diamans, même en défalquant les parures en strass, on trouve que notre richesse française, quoique plus disséminée, ne le cède en rien à la richesse romaine tant vantée, pas plus que le vin mousseux de Champagne servi aux invités ne le cède aux crus antiques, grecs et romains, qui offraient la même particularité.

L’étude des pierreries, qui peut paraître frivole lorsqu’on ne voit en elles que des objets d’ornement, se relève lorsqu’on les considère du côté de l’importante question du commerce et sous le point de vue de l’optique et de la minéralogie, deux des sciences auxquelles notre époque a fait faire le plus de progrès. Le sévère Haüy, le créateur de la minéralogie cristallographique française, n’a pas dédaigné de composer un livre sur les pierres précieuses, où, fort de toutes les notions de la physique, de la chimie, de la mécanique et de l’optique, il ne laisse aucune place à l’indécision sur les caractères d’une pierre taillée quelconque. Il n’est guère d’ouvrages qui contiennent si peu d’erreurs que ce traité d’Haüy. L’auteur indique dans sa préface qu’il a eu recours aux lumières pratiques de M. Achard, lapidaire et minéralogiste, qui lui a fait connaître toutes les dénominations en usage. «Je dois, dit-il, un témoignage de reconnaissance à M. Achard, l’un des joailliers de cette ville les plus éclairés sur tout ce qui se rapporte aux objets de son commerce. » J’en puis dire autant de