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moyens de doter la France de ces créations nouvelles dont l’établissement était la grande tâche du XIXe siècle, chacune de ces discussions mémorables a eu son caractère particulier. A chaque époque, un point distinct forme le principal objet des délibérations.

En 1837, il s’agit de savoir à quelles lignes on doit donner la préférence. En 1838, la lutte éclate directement entre )e système de l’exécution par l’état et le système des compagnies. En 1842, l’intérêt s’attache aux débats relatifs à ce qu’on appelait le système des tronçons par opposition à celui d’une ligne unique.

Quand la question se posa pour la première fois en 1837, quand les systèmes commencèrent à s’afficher avec des prétentions d’universalité, la France, il convient de le rappeler, n’avait ajouté que de très courts rameaux aux trois lignes ferrées entreprises sous la restauration. Peu connues du public et consacrées au service de grandes exploitations industrielles, cinq lignes seulement avaient été ouvertes : c’étaient les lignes d’Épinac au canal de Bourgogne, des carrières de Long-Rocher au canal de Loing, d’Abscon à Denain, de Saint-Waast à Denain, de Villers-Cotterets au Port-aux-Perches, tête du canal de l’Ourcq. Six autres chemins avaient été autorisés : ceux de Montpellier à Cette, de Montrond à Montbrison, d’Alais à Beaucaire, et ceux de Paris à Saint-Germain et à Versailles (rive droite et rive gauche); mais ces chemins n’étaient pas encore exploités. En présence des travaux entrepris dès cette époque au-delà de nos frontières, on commençait à sentir combien il importait de se mettre plus résolument à l’œuvre. L’opinion publique, éveillée par le récit des merveilles dues aux chemins de fer, se préoccupait des retards qu’éprouvait l’expansion de ces voies nouvelles. Le pouvoir était alors entre les mains du ministère du 15 avril, de ce cabinet qui fut en butte à tant d’orages parlementaires, qui ne demandait pas mieux que de s’associer aux élans de l’opinion, et, en écartant les questions politiques, d’appeler l’attention sur les questions d’affaires. Quoique présidé par un homme éminent, qui dépassa, dans les luttes de tribune, les espérances mêmes de ses amis, ce ministère était assez mal placé pour conduire à bon port, à travers mille écueils, les questions d’intérêt matériel. Sous un régime comme celui de 1830, on ne pouvait pas dire : Laissons la politique et occupons-nous d’affaires. Il aurait fallu pour cela supposer dans les partis une abnégation qui est encore plus rare en eux que chez les individus. Les esprits dans le parlement, ou au moins dans une notable partie du parlement, étaient d’ailleurs peu disposés à s’associer aux intentions ministérielles, au moment où le ministre des travaux publics, M. Martin (du Nord), vint, le 8 mai 1837, présenter à la chambre des députés six projets de loi relatifs à l’établissement de six chemins de fer. Il s’agissait des chemins de Paris à Orléans, de Paris à Rouen, de Mulhouse à Thann, de Lyon à Marseille, de Paris à la frontière de Belgique, et du chemin de fer d’Alais à Beaucaire, déjà autorisé en 1833, mais repris dans de nouvelles conditions. Avec le cadre étroit de nos lignes ferrées, ces propositions étaient par elles-mêmes un fait très considérable; elles devenaient plus graves encore comme essai de la politique du cabinet en matière d’affaires.

À ces premiers pas dans une arène soudainement élargie, quel système