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On peut se demander si, en définitive, M. Legrand, qu’on reverra souvent en scène, a nui à la cause des chemins de fer, ou bien s’il l’a servie. Les longs ajournemens qu’éprouva cette question en France ont été plus d’une fois, à coup sûr, la conséquence de son parti pris, soutenu par l’espérance que la chambre élective finirait, de guerre lasse, par accéder à son idée. Supposez un directeur général des ponts et chaussées aussi éclairé que lui, connaissant aussi bien dans ses nombreux replis la topographie de la France au point de vue des travaux publics, et qui eût été en même temps favorable à l’intervention de l’industrie privée : l’œuvre aurait assurément marché plus vite. En revanche, M. Legrand a rendu des services qui suffisent pour lui valoir une place honorable dans l’histoire de nos chemins de fer. On lui doit sur diverses questions d’innombrables études faites ou provoquées par lui; on lui doit une action de tous les jours, de toutes les heures, pour éclairer le côté technique du problème. De plus, il a eu la haute main dans l’arrangement méthodique des grandes artères du réseau national, dans cet arrangement qui forme, malgré quelques erreurs de détail, un tout si complet et si harmonieux.

La majorité de la chambre était loin, quand elle refusa d’accueillir les propositions de 1837, de songer, comme on affecta ensuite de le croire, à proclamer sa préférence pour le système du directeur général des ponts et chaussées. Elle n’avait considéré que les projets dont elle était saisie, soit dans leur état intrinsèque, soit dans la relation qui devait exister entre eux et les autres chemins destinés à sillonner le territoire de la France. Lorsque M. Dufaure vint, à la fin du débat, mettre en doute que la chambre, avec les documens produits, pût se former une opinion raisonnée sur l’ensemble de l’œuvre, il indiquait du doigt une cause d’hésitation planant au-dessus de toute l’assemblée. Assurément il était incontestable que les projets du ministère avaient été présentés au hasard, comme à la débandade; ce n’était pas un motif pour rendre un verdict négatif aussi radical que celui qui fut rendu pour ajourner en masse toutes les lignes. Quand autour de nous d’autres états de la famille européenne s’avançaient à pas rapides dans la carrière, il était triste de nous voir fermer une longue discussion par une déclaration d’impuissance.

A la suite de ce vote, il ne restait plus au ministère qu’à prendre ses mesures pour renouveler le débat dans de meilleures conditions à la session suivante. Une commission spéciale fut chargée d’examiner toutes les questions relatives aux voies ferrées, et, par l’autorité de ses études et de ses jugemens, de préparer des points d’appui pour les discussions ultérieures[1]. Il fallait d’abord se fixer sur le mode d’exécution et savoir si on persévérerait à concéder les grandes lignes à l’industrie privée, ou si désormais on les réserverait à l’état. Dès la première séance, on put juger de l’ascendant que les opinions de M. Legrand exerçaient sur une commission qui en réalité

  1. Parmi les membres de cette commission figuraient MM. le comte d’Argout, Dufaure, Dumon, baron de Fréville, Gréterin, Legrand, Mathieu de la Redorte, Odier, Passy (Hippolyte), Real (Félix), de Rémusat (Charles). MM. Dufaure et Dumon ne prirent aucune part aux travaux de la commission.