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Saint-Germain ont en général servi de type pour la formation des sociétés ultérieures. On doit cependant noter dans les statuts de la première compagnie une clause essentielle que l’autorité cessa bientôt d’admettre : je veux parler de l’attribution d’actions d’industrie aux fondateurs[1]. Ce mode de rémunération, qu’on a vu déjà pratiquer par les concessionnaires du chemin de fer de Saint-Étienne à Lyon, n’avait en soi rien d’absolument illégitime, d’autant plus que les coupons de fondation ne venaient au partage des bénéfices qu’après que les actionnaires avaient reçu un intérêt raisonnable de leurs capitaux. Le système qui laisse en dehors la question de rétribution et qui établit pour tous les associés d’une affaire, quant à leur apport du moins, des conditions analogues, nous paraît néanmoins plus équitable dans des entreprises auxquelles l’état accorde un privilège. Le système actuel n’est pas exempt d’inconvéniens, nous le savons, surtout en ce qui touche à la première négociation des titres ; mais l’existence d’actions de fondation n’aurait point suffi pour empêcher le jeu artificiel des primes.

Un chemin de fer de Paris à Versailles, dont la concession fut demandée pendant qu’on travaillait à celui de Saint-Germain, semblait appelé à une destinée au moins aussi brillante que celle de ce dernier. Par malheur on eut l’idée d’en créer deux, l’un par la rive droite et l’autre par la rive gauche de la Seine[2]. Cette idée eut les suites les plus fâcheuses pour la cause des chemins de fer en général. Le sort de la compagnie de la rive gauche a été durant de longues années comme un épouvantail pour les capitalistes, qui n’osaient plus aborder des opérations du même genre. À qui faut-il imputer la faute de cette double concession ? Elle vient moins de la lutte des deux compagnies qui se disputaient le chemin, — et dont l’une, celle de la rive droite, avait à sa tête M. E. Pereire appuyé sur M. de Rothschild, et l’autre MM. Fould, — que de la rivalité même des localités. Les trois arrondissemens parisiens de la rive gauche réclamaient un embarcadère que la rive droite ne voulait pas céder, et que des personnages influens croyaient en effet mieux placé dans le voisinage des quartiers les plus actifs de la capitale. À Versailles, les deux quartiers de Notre-Dame et de Saint-Louis luttaient l’un contre l’autre avec une ardeur plus vive encore. Le gouvernement, c’est une justice à lui rendre, n’avait pas pris l’initiative d’un double railway. Le projet de loi ne parlait que d’un seul chemin, et la combinaison des deux routes fut introduite à la chambre des députés sur la proposition d’une commission dont M. de Salvandy était l’organe. « Nous avons cru au succès des deux entreprises rivales, » disait M. de Salvandy dans son rapport. Le tort principal revient donc à la commission chargée d’élaborer le projet ; mais le gouvernement a eu à se reprocher de n’avoir pas su repousser une pareille conclusion[3]. Commencés en 1836, les chemins de Versailles furent

  1. Deux mille coupons de fondation avaient été réservés aux concessionnaires du railway de Saint-Germain.
  2. La loi du 9 juillet 1836 autorisa le gouvernement à procéder par la voie de la publicité et de la concurrence, le même jour et séparément, à la concession des deux chemins.
  3. On sait que l’état a été obligé de prêter 5 millions pour l’achèvement des travaux à la compagnie de la rive gauche (loi du 1er août 1889) ; au moment où cette ligne a été acquise par la compagnie de l’Ouest, la dette envers le trésor montait, avec les intérêts, à plus de 7 millions.