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Montereau à Troyes; on décrète la prolongation du chemin du Centre à partir de Vierzon, d’une part sur Châteauroux et Limoges, d’autre part sur Bourges et Clermont. Enfin on concède le chemin de Sceaux, et on livre à l’industrie privée l’exploitation du chemin de Montpellier à Nîmes, construit par l’état.

Ces mesures si nombreuses, ces additions si importantes, ces crédits si considérables, témoignaient déjà en 1844 d’un mouvement qui ne se maîtrisait plus guère. L’année suivante, le débordement est complet. On venait de passer des années dans la torpeur, et l’on va s’abandonner tout à coup à de fiévreux élans. Les compagnies naissent de tous côtés, prêtes à se disputer les concessions, mais prêtes aussi à vendre leur silence à des compagnies rivales. La formation de sociétés qui ne visent qu’à prélever une dîme sur les adjudications projetées devient une sorte d’industrie. On concède alors à des compagnies l’exploitation de la ligne de Belgique, avec les embranchemens de Lille sur Calais et Dunkerque, de Creil sur Saint-Quentin, de Fampoux sur Hazebrouck. Il en est de même de la ligne de Tours à Nantes, de celle de Paris à Strasbourg, avec embranchement sur Reims, sur Metz et sur la frontière de Prusse, et des deux chemins de Paris à Lyon et de Lyon à la Méditerranée. Enfin on autorise des embranchemens sur la ligne du Havre vers Dieppe et Fécamp, et sur le chemin d’Avignon vers la ville d’Aix. Des crédits sont alloués soit pour de nouvelles études, soit pour l’achèvement de lignes commencées et exécutées par l’état. Par suite de ce grand déploiement d’activité, il devint nécessaire de réunir en un seul corps les dispositions fondamentales qu’on imposait habituellement aux compagnies, et alors fut rendue la loi, encore en vigueur aujourd’hui, du 15 juillet 1845, sur la police des chemins de fer.

Pendant qu’on réglementait ainsi, et quelquefois même avec une prudence trop minutieuse, l’exploitation des lignes, on ne cherchait ni à régler ni à diriger l’esprit d’association violemment surexcité. Les spéculateurs se souciaient peu des chemins de fer en eux-mêmes, ils y cherchaient seulement un sujet de trafic et de bénéfice immédiats. On n’a qu’à voir les conditions offertes et les conditions imposées, et l'on se convaincra que tout le monde perdait de vue le but à atteindre. Alléché par le gain que promettait le mouvement artificiel des actions, le public se lançait inconsidérément dans des spéculations aventureuses. Le sentiment général de notre pays fut un moment comme altéré par cette fièvre, qui s’emparait non-seulement des imaginations, mais encore des consciences. Si on eut plus tard à déplorer quelques grands scandales, perfidement exploités contre le gouvernement de 1830, il faut en rechercher la première source dans cette soif d’entreprises et de profits qui vint pour ainsi dire énerver le sens moral. Le gouvernement aurait pu sans doute imposer quelques digues au torrent, mais il y avait autour de lui des gens qui s’imaginaient que l’état faisait de bonnes affaires quand les compagnies acceptaient des conditions ruineuses, et qui ne prévoyaient pas que le public, en dernière analyse, paierait les frais des folles entreprises. Il y en avait d’autres, et dans des rangs élevés, qui manquaient de la volonté nécessaire pour exercer une direction supérieure, et ouvraient trop aisément leur esprit à de mobiles suggestions.

De sinistres pronostics n’arrêtèrent pas en 1846 l’impulsion donnée. On