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L’écume de la mer collait sur leurs échines
De longs poils qui laissaient les vertèbres saillir ;
Et, quand les flots par bonds les venaient assaillir,
Leurs dents blanches claquaient sous leurs rouges babines.

Devant la lune errante aux livides clartés,
Quelle angoisse inconnue, au bord des noires ondes,
Faisait pleurer une âme en vos formes immondes ?
Pourquoi gémissiez-vous, spectres épouvantés ?

Je ne sais ; mais, ô chiens qui hurliez sur les plages,
Après tant de soleils qui ne reviendront plus,
J’entends toujours, du fond de mon passé confus,
Le cri désespéré de vos douleurs sauvages !



LA JUNGLE.



Sous l’herbe haute et sèche où le naja vermeil
Dans sa spirale d’or se déroule au soleil,
La bête formidable, habitante des jungles.
S’endort, le ventre en l’air, et dilatant ses ongles.
De son muffle marbré qui bâille, un souffle ardent
Fume ; la langue rude et rose va pendant,
Et sur l’épais poitrail, chaud comme une fournaise,
Passe par intervalle un frémissement d’aise.
Toute rumeur s’éteint autour de son repos :
La panthère aux aguets rampe en arquant le dos ;
Les pythons musculeux, aux écailles d’agate,
Sous les nopals aigus glissent leur tête plate.
Et dans l’air, où son vol en cercle a flamboyé,
La cantharide vibre autour du roi rayé.
Lui, baigné par la flamme, et remuant la queue,
Il dort tout un soleil sous l’immensité bleue.

Mais l’ombre en nappe noire à l’horizon descend ;
La fraîcheur de la nuit a refroidi son sang ;
Le vent passe au sommet des bambous. Il s’éveille,
Jette un morne regard au loin, et tend l’oreille.
Le désert est muet. Vers les cours d’eau cachés,
Où le lotus fleurit sous les roseaux penchés,
Il n’entend point bondir les daims aux jambes grêles,
Ni le troupeau léger des nocturnes gazelles.
Le frisson de la faim creuse son maigre flanc.
Hérissé, sur soi-même il tourne en grommelant ;