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suspens. Il y a des négociations de paix admises en principe, elles ne sont ni commencées ni rompues ; elles restent une énigme, un mythe qu’on semble craindre d’interroger. Ici donc encore on attend ; mais à travers cette sorte de suspension diplomatique et militaire, il est évident qu’on se confie beaucoup moins à une paix problématique qu’on ne se prépare à de plus grands événemens. Ce sont là les signes les plus manifestes et les plus actuels. L’Autriche elle-même, sur qui la Prusse cherche à peser de son propre poids et du poids de la confédération germanique, l’Autriche se met chaque jour en état de combattre. Le ministère anglais vient de se reconstituer dans la pensée avouée de donner à la guerre une impulsion vigoureuse. Le parlement de Turin, après une brillante discussion, vient d’approuver l’accession du Piémont à l’alliance occidentale. La France vient d’ajouter à ses armemens une légion étrangère, placée sous le commandement de M. Ochsenbein, l’ancien colonel fédéral suisse, qui a reçu le titre de général français. La Russie de son côté multiplie ses moyens de défense, renvoie ses princes en Crimée et fait avancer ses troupes vers la frontière de Pologne. Dans ce mélange de traits divers, n’aperçoit-on pas la situation réelle de l’Europe avec ses perplexités, avec ses confusions périlleuses, avec toutes les perspectives d’une lutte gigantesque prête à sortir de cette attente redoutable qui semble régner en ce moment ?

La crise actuelle de l’Europe prendra-t-elle en effet ce caractère plus général, qu’il est permis d’entrevoir avec un sentiment d’anxiété légitime ? Et s’il en est ainsi, quelle sera l’attitude définitive de chaque pays ? Ces deux questions, à vrai dire, impliquent celle de savoir quelle influence triomphera en Allemagne, quelle politique prévaudra dans les conseils de la confédération. C’est un débat qui se poursuit depuis longtemps à travers toute sorte d’obscurités, et qui n’en devient pas plus clair. Par la situation qu’elle s’est faite avec une persistance aussi peu calculée qu’inattendue, la Prusse se trouve séparée de l’Autriche en ce qui touche la direction à imprimer à la politique allemande, et elle se trouve en désaccord avec les puissances occidentales sur les points les plus graves de la politique européenne. Il en résulte qu’après s’être associée à tous les actes de l’Autriche, la Prusse en vient aujourd’hui, par des interprétations chimériques ou par un fanatisme véritable d’inaction, à exposer l’Allemagne à un déchirement violent, et qu’après être entrée d’abord, comme grande puissance, dans les conférences de l’Europe, elle est en ce moment en dehors des délibérations qui peuvent s’ouvrir pour le rétablissement de la paix et pour le règlement des questions d’ordre général suscitées par la Russie. Comment se dénouera cette situation ? Voilà l’étrange problème que le cabinet de Berlin s’est donné à résoudre, et qui ne peut être évidemment résolu sans péril que par une accession nouvelle et plus efficace de la Prusse à la politique qui a prévalu le 2 décembre à Vienne. Ce n’est qu’ainsi qun le cabinet prussien peut à la fois rejeter loin de lui la responsabilité terrible d’une dissolution de la confédération germanique et reprendre son rang dans les conseils de l’Europe.

On sait, en ce qui touche particulièrement la politique de l’Allemagne, comment la diète de Francfort s’est trouvée saisie du dangereux conflit élevé entre l’Autriche et la Prusse. Le cabinet de Vienne réclamait la mobilisation d’une portion des contingens fédéraux ; le cabinet de Berlin combattait cette