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mesure. Il se fondait principalement, à ce qu’il paraît, sur les dispositions conciliantes manifestées par l’empereur de Russie, sur ses assurances réitérées, d’où l’on pouvait conclure que les intérêts allemands n’avaient pas besoin d’une protection armée. Le cabinet de Berlin parlait ainsi tandis que l’Autriche montrait les soldats russes à ses frontières. Dans ces circonstances, qu’es-t-il survenu ? Avec cet esprit de ressource propre à la diplomatie allemande, la Bavière a découvert un moyen de conjurer une scission imminente, en proposant à la diète, non de décréter la mobilisation réclamée par l’Autriche, mais d’ordonner la mise en état de guerre de tous les contingens fédéraux, mesure qui précède d’habitude la mobilisation. Comme on voit, la difficulté est moins résolue qu’ajournée ; elle se reproduira infailliblement. Il est seulement un point à noter : c’est que si l’Autriche, en acceptant cette proposition, a consenti pour le moment à ne point réclamer davantage, la Prusse, en y adhérant également, est allée au-delà de ce qu’elle demandait à la diète, puisqu’elle lui demandait de ne rien faire. Est-ce là un symptôme, quelque faible qu’il soit, d’une disposition nouvelle de la politique prussienne ? Ce pas qui sépare de la mobilisation la mise en état de guerre des contingens fédéraux, le cabinet de Berlin le franchira-t-il, comme il a franchi le premier ? Tout est là aujourd’hui.

Du reste, il y a pour le gouvernement prussien un moyen bien simple de manifester une politique qui épargnerait à l’Allemagne la plus périlleuse des épreuves, et qui le ramènerait lui-même dans le concert des grandes puissances : ce serait d’adhérer nettement aux stipulations du 2 décembre. Le cabinet de Berlin n’a plus même à objecter que le traité de Vienne contient des clauses qui sont dans l’intérêt particulier de l’Autriche. Pour écarter toute objection, la France et l’Angleterre ont paru disposées à traiter séparément. Ainsi la Prusse se trouverait mise en demeure de se prononcer. Est-elle prête à prendre une résolution sérieuse ? C’est ce que ne semblent pas avoir révélé encore la mission du général de Wedel à Paris et celle de M. d’Usedom à Londres. Malheureusement la Prusse a trop eu l’air de vivre jusqu’ici sous l’empire d’une illusion singulière : c’est qu’il lui était possible de conserver cet équilibre qui a paru longtemps être le dernier mot de sa politique, d’aller de l’un à l’autre, d’expédier partout des envoyés chargés d’aller porter l’assurance de ses excellentes dispositions, et en définitive de couvrir son inaction d’un amour chimérique de la paix. Elle a fait plus : signataire des premiers protocoles qui ont été la sentence de l’Europe sur la politique russe, elle n’a cessé par le fait, en toute circonstance, de garantir la parfaite innocence de l’empereur Nicolas et de seconder ses plans — de dessein prémédité ou involontairement. La Russie, qu’elle a condamnée, lui doit l’immobilité de l’Allemagne. Que lui doivent les puissances occidentales, avec lesquelles elle est restée tant qu’il ne s’est agi que de faire un cours de politique consultante, comme on l’a dit spirituellement ? La Prusse s’est arrêtée dès qu’il a fallu passer de cette politique consultante à des actes. Elle s’est éloignée elle-même, de son plein gré, du concert qui s’est établi d’abord le 8 août, puis le 2 décembre, entre la France, l’Angleterre et l’Autriche. À quel titre pourrait-elle être admise dans des délibérations nouvelles, à moins qu’elle ne contracte l’engagement positif de contraindre la Russie à accepter les conditions fixées par l’Europe, si la paix ne sort pas des négociations qui