Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/876

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’être appelé le paisible et le sage. De tous les hommes, c’est le plus dangereux le jour où il s’émancipe et secoue tous les freins. Ainsi M. Heine parle un peu au figuré de l’Allemagne et de son tonnerre prochain. « Le tonnerre en Allemagne, dit-il, est bien à la vérité allemand aussi : il n’est pas très leste, et vient en roulant un peu lentement ; mais il viendra, et quand vous entendrez un craquement comme jamais craquement ne s’est fait encore entendre, sachez que le tonnerre allemand aura enfin touché le but. » Hélas ! le tonnerre est venu, et à quoi a-t-il abouti ? M. Heine a-t-il jamais cru à l’hégélianisme, lui cet amoureux des formes grecques, ce poète pénétrant et passionné, ce railleur universel ? Cela est douteux. Toujours est-il qu’après avoir été quelque peu dieu, il s’est dépouillé de bonne grâce de sa divinité, dont il se moque. Il ne lui est resté que son ironie, cette ironie impitoyable et étrange qui fait l’essence de sa nature, et qu’il promène un peu sur toute chose, sur les conseillers auliques et sur les philistins, sur les poètes romantiques et sur ses amis d’autrefois, qui étaient dieux avec lui, mais qui ont oublié de redevenir des hommes. Aristophane singulier qui, sous cette raillerie universelle, cache un fonds d’émotion et de tendresse saisissante ! Ce qui manque à ce livre de l’Allemagne, reproduit aujourd’hui, c’est un soin vigilant, qui eût été du goût, à effacer la trace des licences anciennes, et surtout à n’en point ajouter de nouvelles. Malheureusement telle est cette ironie, qu’elle s’enivre d’elle-même et fait du sarcasme une sorte de poésie brillante et cruelle. Il ne faudrait point, après tout, se fier à ce scepticisme universel, qui peut être la fantaisie de la plus vive imagination, mais qui a exercé de nos jours de tristes ravages. Il a laissé sa trace dans les âmes comme dans la vie des peuples, dans la politique comme dans la littérature, et il n’y a point souvent d’autres causes de tant d’efforts inutiles dont on s’étonne et que l’histoire constate.

Mais c’est là l’histoire conjecturale, l’histoire morale et intellectuelle, et à côté reste toujours cette histoire positive qui se compose de tous les faits et du mouvement de chaque pays. Le Piémont, comme nous le disions, vient d’avoir une brillante discussion parlementaire où a été posée et résolue la question de l’alliance avec les puissances occidentales. Pour peu que dans un tel débat on cherchât l’éclat de la parole, on le trouverait certainement dans les discours du président du conseil, M. de Cavour, et du général Durando. Si le Piémont, dans sa vie publique, ne comptait que des faits comme celui qui vient de le lier aux puissances de l’Occident, s’il ne s’agitait que de telles questions dans sa politique, ce serait une situation aussi heureuse que nette et habilement conduite ; mais tout a-t-il ce caractère de bonheur et d’habileté dans les affaires de ce petit royaume ? À cet acte d’alliance qui vient d’être l’objet de la plus, remarquable discussion dans le parlement de Turin se mêlent malheureusement aujourd’hui de douloureuses épreuves domestiques pour la maison royale de Sardaigne, ou des difficultés de politique intérieure qui ne peuvent que compliquer l’état du Piémont et affaiblir dans une certaine mesure son action extérieure. Ce sont assurément des événemens publics ressentis par tous que ces deuils successifs qui frappent cruellement en cet instant la maison de Savoie. Il y a peu de jours encore, la mère du roi, la reine Marié-Thérèse, la reine régnante Marie-Adélaïde, mouraient à un court intervalle, laissant des souvenirs différens et égale-