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non moins nécessaire et encore plus rare peut-être. Encouragé par le succès de quatre éditions en deux ans, il a refondu son travail en retranchant dans l’ensemble ce qu’il pouvait y avoir de technique et en insistant au contraire sur les points qui, par leur caractère plus philosophique que ne le comporte l’enseignement des écoles, pouvaient par cela même intéresser davantage les esprits déjà mûrs.

Cette heureuse alliance des principes généraux, qui forment les grandes lignes de l’histoire, avec les faits qui en sont la vie même est l’un des mérites principaux du résumé de M. Duruy. Tel est aussi le but qu’il s’agissait d’atteindre. Loin de nous la pensée de dédaigner les idées générales, et d’encourir le reproche qu’un illustre historien, rappelant de très belles paroles de M. Royer-Collard, adressait il y a peu de temps, en pleine Académie, à ceux qui méprisent la métaphysique et s’exposent à ne savoir se rendre compte ni de ce qu’ils disent ni de ce qu’ils font. Il n’y a de véritable lumière dans les faits que par les idées. Notre époque cependant, sachons le reconnaître, a singulièrement abusé de cette grande vérité. Il y a eu un moment où l’esprit de généralisation et d’abstraction a dominé tout le mouvement politique et littéraire, et où la pensée, en se concentrant presque exclusivement sur les principes, a fini par ne plus tenir compte des faits, et par perdre le sentiment de la réalité. Ce règne absolu des idées générales a produit ses conséquences, et il a mis aux plus cruelles épreuves la société qui en était éprise.

Pour tirer de ces considérations une conclusion appropriée au sujet qui nous occupe, la philosophie de l’histoire n’est pas l’histoire, et s’il fallait faire un choix entre le simple récit des faits, la chronique proprement dite, et les brillantes généralisations où la vie disparaît sous les formules, nous n’hésiterions point. La vraie méthode historique, c’est celle que M. Augustin Thierry a pratiquée avec un si complet succès dans les Lettres sur l’histoire de France, dans les Récits mérovingiens et dans l’Histoire de la conquête de l’Angleterre par les Normands. C’est à cette école qu’appartient évidemment M. Duruy. Il n’avait point de découvertes à faire pour écrire son intéressant résumé ; mais il avait un plan à se tracer, une forme à trouver, et c’est en s’inspirant des meilleurs maîtres qu’il a poursuivi sa tâche. Aucun travail du même genre n’est plus propre à populariser les résultats de la science moderne. L’abrégé de M. Duruy offre encore un autre avantage, qui a son prix à nos yeux : il fait aimer la France. Il est presque de mise depuis assez longtemps de dire que notre pays est traditionnellement dépourvu d’esprit politique, qu’il est dévoyé, épuisé, réduit à l’impuissance. Les conclusions de M. Duruy sont beaucoup plus en harmonie avec les faits. En nous décrivant les vicissitudes d’une nation toujours à la tête des nobles causes depuis quatorze siècles, il nous fait sentir également toutes les raisons de confiance qui nous restent, et c’est avec le sentiment de l’admiration pour le passé, de l’espérance pour l’avenir, que l’on quitte cette lecture.


H. DESPREZ.


V. DE MARS.