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voulant récompenser Ruvigny, le fit nommer député-général du synode national des églises réformées de France, fonction double et intermédiaire qui faisait de lui le chargé d’affaires du roi auprès des protestans et des protestans auprès du roi. Ruvigny s’acquitta de cette ingrate mission avec un zèle habile, souvent désagréable et même suspect aux deux partis, mais également fidèle au roi et à son église, et s’inquiétant peu de leur déplaire tour à tour, pourvu qu’il réussît à maintenir entre eux le droit et la paix. Pourtant ce n’était pas là, pour lui, une carrière ni l’unique but de sa vie; il voulait faire son chemin, soit dans l’armée, soit au dehors, dans les négociations; mais on lui fit entendre que là il n’obtiendrait rien, s’il ne changeait de religion. On se servait de lui auprès des protestans, service que lui seul pouvait rendre; mais hors de là, tout avenir lui était fermé. Après la mort de Mazarin et la restauration des Stuart, les nombreuses relations de Ruvigny en Angleterre, ses liens intimes avec les Southampton, les Russell, et d’autres familles considérables, soit à la cour, soit dans l’opposition, lui firent obtenir, sans qu’il le recherchât, ce que naguère il avait vainement désiré : il fut employé à diverses reprises dans les négociations les plus intimes entre les cours de Paris et de Londres, travaillant à assurer, tantôt l’accord secret des deux rois, tantôt l’influence secrète de Louis XIV sur les chefs les plus ardens de l’opposition dans le parlement. Louis XIV lui portait une sincère estime, et Charles II une faveur marquée : « J’ai dit à Ruvigny tout ce que j’ai sur le cœur... Jamais la France n’a été si loin dans ses bonnes intentions pour nous que lorsqu’il a résidé ici, » écrivait Charles à sa sœur, la duchesse d’Orléans. Bon Français, royaliste dévoué et protestant sincère, Ruvigny faisait d’ardens efforts pour servir en même temps son pays, son roi et sa foi, sans illusion pourtant et avec peu d’espoir de réussir longtemps dans cette difficile conciliation. L’édit de Nantes subsistait encore, mais comme ces édifices abandonnés et ruinés qui n’attendent, pour tomber, qu’un coup de marteau. Sous l’impulsion d’un sentiment général dans la France catholique et des pressantes instances du clergé, voulant satisfaire à cette fausse et fatale idée que la force a droit sur la conscience et que l’unité de l’état commande l’unité de la foi, Louis XIV, avec un manque de probité qu’il ne se fût pas permis envers des étrangers, détruisait, tantôt sourdement, tantôt hautainement, les promesses royales et les garanties légales qu’avait reçues de ses pères une partie de ses sujets. Le marquis de Ruvigny, tout en servant le roi, ne s’aveuglait point sur le but et l’issue finale de ce travail; décidé, quand le dernier moment viendrait, à tout sacrifier plutôt que sa foi et l’honneur de son âme, il prit soin de s’assurer d’avance, en Angleterre, pour