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tardèrent pas à se relever au niveau de son âme. Lady Vaughan ne fut probablement pas étrangère à ce rétablissement de l’harmonie morale dans le noble jeune homme à qui elle devait se donner. De toutes les influences humaines, celle d’un amour vertueux est la plus puissante comme la plus douce. Aucun détail n’est resté sur leurs premières relations; on sait seulement, par une lettre de lady Percy, sœur consanguine de lady Vaughan, que, dès 1667, William Russell était épris de la belle veuve : « Il témoigne, dit-elle, comme tant d’autres avec lui, un ardent désir de gagner un cœur qui est pour tous une conquête si désirable. » Lady Vaughan, sans enfans de son premier mariage, était de plus une riche héritière. William Russell, fils cadet, n’avait ni fortune, ni titre à lui offrir. Il en était, à coup sûr, plus timide et plus réservé; mais il y avait entre eux trop de sympathie native et intime pour que les considérations et les hésitations du monde les tinssent longtemps séparés. Le mariage eut lieu au commencement de l’année 1670; seulement, selon l’usage de la société anglaise, Rachel Wriothesley conserva son nom de lady Vaughan jusqu’en 1678, époque à laquelle, le frère aîné de William Russell étant mort, celui-ci devint l’héritier de sa maison et prit le titre de lord Russell. On peut croire que de nos jours lady Vaughan n’eût pas attendu si longtemps pour adopter le nom de l’homme qu’elle aimait; les sentimens personnels ont gagné l’empire qu’ont perdu les goûts aristocratiques, et naguère lady Cowper n’a pas hésité à laisser là son titre de comtesse pour prendre, en épousant lord Palmerston, le nom et le titre inférieur de son mari.


VI.

Ce monde n’a point de spectacle plus charmant que celui de la passion pure et heureuse. La passion, cette explosion libre et sincère des désirs et des forces intimes de l’âme, a pour nous tant d’attrait que nous prenons, à la contempler, un plaisir infini, même quand elle s’offre à nous chargée d’égaremens coupables, de troubles, de mécomptes et de douleurs; mais la passion se déployant en harmonie avec la conscience et inondant l’âme de joie sans altérer sa beauté ni sa paix, c’est le plein essor de notre nature, la satisfaction de nos aspirations à la fois les plus humaines et les plus divines; c’est le Paradis reconquis. L’union de Rachel Wriothesley et de William Russell offre ce rare et ravissant caractère. Rachel ne nous a jusqu’ici apparu que tranquille, simple, vertueuse sans élan comme sans effort, et suivant modestement la route droite, mais ordinaire, de la vie. Maintenant l’amour passionné et le bonheur suprême sont entrés dans ce cœur si bien fait pour les ressentir, mais