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avec impatience à Monmouth : « Je voudrais lui faire grâce; mais je ne le puis sans me brouiller avec mon frère : n’en parlons plus; » et à lord Dartmouth : « Tout ce que vous me dites est vrai ; mais ce qui est vrai aussi, c’est que, si je ne prends pas sa vie, il aura bientôt la mienne. » On essaya de toucher à d’autres cordes qu’à celles du cœur : le comte de Bedford fit offrir à la duchesse de Portsmouth cinquante et même cent mille livres sterling pour avoir la grâce de son fils; Charles répondit : « Je ne rachèterai pas mon sang et celui de mes sujets à si bon marché. » Lady Russell pensa que son oncle, le marquis de Ruvigny, venant exprès de Paris, de l’aveu de Louis XIV, aurait peut-être auprès de Charles II quelque crédit[1]. Ruvigny promit de se rendre à Londres : « J’ai une grande impatience, ma chère nièce, écrivait-il, d’être près de vous. Il y a trois jours que la roi est arrivé; il a eu la bonté de consentir à mon voyage. » On disait même qu’il apporterait une lettre de Louis XIV à Charles II pour l’engager à faire grâce. « Je ne veux pas empêcher que M. de Ruvigny ne vienne ici, dit Charles à Barillon; mais mylord Russell aura le cou coupé avant qu’il arrive. » Ruvigny ne vint pas. Sur les ardentes instances de son père, de ses amis, et sans doute aussi de sa femme, lord Russell se décida à écrire lui-même au roi et au duc d’York pour demander sa grâce, représentant « qu’il n’avait jamais conçu la moindre pensée contre la vie de sa majesté, ni aucun dessein de renverser son gouvernement, reconnaissant qu’il avait eu tort d’assister à des réunions illégales, et promettant d’aller vivre sur le continent, dans le lieu qu’il plairait au roi de lui assigner, et de ne plus se mêler des affaires d’Angleterre. » Cette démarche, qui demeura, comme toutes les autres, sans aucun effet, coûta beaucoup à lord Russell, et en fermant sa lettre au duc d’York, il dit au

  1. Lord John Russell a révoqué en doute, dans sa Vie de son illustre ancêtre (Life of William lord Russell, t. Ier, p. XIV, et t. II, p. 76), ces tentatives faites au nom de Louis XIV pour sauver la vie de lord Russell, et les lettres de Barillon qui en font mention, et dont Dalrymple avait cité des fragmens. Le doute de lord John Russell était naturel, puisqu’on avait refusé, à cette époque, de lui laisser vérifier, dans nos archives des affaires étrangères, les citations de Dalrymple. J’ai fait cette vérification, et elle me prouve que Louis XIV avait en effet chargé Barillon de dire à Charles II quelques paroles, probablement assez froides, en faveur de lord Russell. Voici le texte de la lettre en date du 29 juillet (19 juillet selon le vieux style encore maintenu alors en Angleterre), 1683, dans laquelle Barillon rend compte au roi de sa démarche : « Je montrai hier au roi d’Angleterre une lettre que M de Ruvigny m’écrit, et je lui dis ce que votre majesté m’ordonne sur son sujet. Ce prince me répondit : « Je suis bien assuré que le roi mon frère ne me conseillerait pas de pardonner à un homme qui ne m’aurait pas fait de quartier; je ne veux pas empocher que M. de Ruvigny ne vienne ici, mais mylord Russell aura le cou coupé avant qu’il arrive. Je dois cet exemple à ma propre sûreté et au bien de mon état. » (Archives des affaires étrangères de France.)