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et de s’affermir mutuellement; quand elle partait, il la suivait des yeux; son émotion semblait près d’éclater; il la domptait brusquement, et s’adonnait tout entier, soit seul, soit avec Burnet et Tillotson, à des méditations, à des lectures, à des conversations pieuses. Le 19 juillet, informé que la demande d’un répit avait été rejetée et que l’exécution aurait lieu le surlendemain, il écrivit au roi une lettre qui ne devait être remise qu’après sa mort, et dont le but était dans ces dernières paroles : a Je vous demande la permission de terminer mes jours en protestant sincèrement que mon cœur a toujours été dévoué à ce que j’ai cru votre véritable intérêt; si je me suis trompé, j’espère que votre déplaisir envers moi finira avec ma vie, et qu’il n’en retombera rien sur ma femme et sur mes enfans. C’est la dernière grâce que vous demandera, sire, de votre majesté, le très fidèle, très dévoué et très obéissant sujet. » Le lendemain 20, dans la matinée, il reçut la communion des mains de Tillotson : « Croyez-vous à tous les articles de la foi chrétienne tels que les enseigne l’église anglicane ? lui demanda le doyen. — Oui, certainement. — Pardonnez-vous à tout le monde ? — De tout mon cœur. » Après le dîner, il relut et signa le discours qu’il voulait remettre au shériff sur l’échafaud, comme ses adieux à la vie et à son pays, et donna à lady Russell toutes ses directions pour qu’il fût publié et répandu aussitôt après sa mort. Lady Russell alla chercher et lui amena ses enfans. Il les garda quelque temps, s’entretint avec elle de leur éducation, de leur avenir, les embrassa, les bénit et les renvoya sans que sa sérénité parût altérée : « Restez à souper avec moi, dit-il à sa femme; prenons ensemble notre dernier repas terrestre. » Pendant et après le souper, il parla surtout de ses deux filles, et aussi des grands exemples de la mort acceptée avec calme et liberté d’esprit. Vers dix heures, il se leva, prit lady Russell par la main, l’embrassa quatre ou cinq fois, tous deux silencieux et tremblans, les yeux pleins de larmes qui ne tombaient pas. Elle partit. « Maintenant, dit lord Russell à Burnet, l’amertume de la mort est passée, » et s’abandonnant tout à coup avec effusion à ses sentimens : «Quelle bénédiction elle a été pour moi! Quelle eût été ma misère si, avec toute sa tendresse, elle n’avait pas eu tant de grandeur d’âme qu’elle n’a jamais désiré de moi une bassesse pour sauver ma vie! Quelle semaine j’aurais eu à passer si elle avait toujours été pleurant autour de moi, et me pressant de devenir un délateur, un lord Howard!... Dieu m’a accordé une faveur insigne en me donnant une telle femme : naissance, fortune, grand esprit, grande religion, grande affection pour moi, tout y a été! Et par-dessus tout, sa conduite dans cette extrémité! C’est une grande consolation pour moi de laisser mes enfans dans les mains d’une telle mère; elle m’a