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que Dieu a sagement implanté dans notre nature cette terreur à l’approche de la séparation de l’âme et du corps, et ce penchant à prendre soin de notre vie ; comment supporterions-nous tant de maux, si notre foi ne nous enseignait pas ce que nous pouvons espérer et atteindre en souffrant patiemment ?»

Elle écrivait aussi quelquefois, sinon avec le même abandon, du moins dans les mêmes sentimens, à quelques personnes qui lui avaient rendu d’importans services ou témoigné une sympathie vraie dans son malheur. Lord Halifax, entre autres, était intervenu auprès du roi lors de l’exécution de lord Russell, pour demander, ce qu’il n’obtint qu’à grand’peine, que l’écusson de sa famille fût placé, après sa mort et comme si elle eût été naturelle, sur la Porte de sa maison. Il avait depuis cette époque entretenu des rapports affectueux avec lady Russell, et essayé sans doute de lui offrir quelqu’une de ces froides consolations dont se contentent les âmes qui n’ont pas besoin d’être consolées, car elle lui écrit :

« Mylord, je regarde comme un pauvre raisonneur celui qui nous demande de prendre avec indifférence tout ce qui nous arrive. Il est beau de dire : « Pourquoi nous plaindre qu’on nous ait repris ce qu’on n’avait fait que nous prêter, et nous prêter pour un temps, nous le savions, » et autres paroles semblables. Ce sont là des recettes de philosophes, et je ne leur porte aucun respect, comme à tout ce qui n’est pas naturel. Il n’y a point de sincérité. J’ose dire qu’ils dissimulent et qu’ils sentent ce qu’ils ne veulent pas avouer. Je sais que je n’ai pas à disputer avec le Tout-Puissant ; mais si les délices de ma vie s’en vont, il faut bien que je souffre de leur perte et que je les pleure. Croyez-moi, mylord, la foi chrétienne a seul, de quoi soulager l’âme accablée par un grand malheur ; il ne faut rien moins, pour nous satisfaire, que l’espoir de redevenir heureux, et je lui dois mille fois plus que je n’aurais pu devoir au monde entier, quand on m’aurait offert et mis à ma disposition toutes ses gloires. »

Dieu lui réservait des consolations pleines d’angoisse, mais efficaces, la perspective imminente de nouvelles douleurs. Son fils, à peine âgé de quatre ans, tomba gravement malade. Elle fut sur le point de le perdre ; il guérit. « Dieu a eu pitié de moi, écrit-elle au docteur Fitz-William, il a écarté un coup qui me menaçait, la mort de mon pauvre garçon. Il a été très mal, et Dieu m’a fait voir la folie de mes imaginations, quand je croyais qu’il ne me restait rien dont la perte pût me causer une grande angoisse, ou la possession m’apporter un soulagement sensible. J’ai senti la fausseté de la première idée, car je ne puis me séparer un moment de cette petite créature. Je désire faire sur la seconde la même découverte, et trouver, dans la présence de ces enfans, quelque rafraîchissement pour ma pauvre