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fatigue, ce détachement de soi-même que l’âge amène dans les belles âmes, émoussaient en elle les douleurs aiguës; son affection pour ses enfans, sa sollicitude pour leur vertu et leur bonheur prenaient plus de place. dans son cœur et en laissaient moins aux retours ardens et amers vers son propre passé; la piété, ses inquiétudes, ses devoirs, ses exercices, ses élans devenaient sa pensée et sa pratique habituelle. En un mot, elle se calmait et se résignait chrétiennement, toujours consacrée au même amour, mais de plus en plus soumise à Dieu, confiante dans l’éternel avenir, et encore plus préoccupée de le mériter qu’impatiente de l’obtenir. Ce sont là les sentimens qui éclatent dans une longue lettre qu’en 1691, avant d’avoir marié sa seconde fille et son fils, elle écrivit à ses enfans pour leur donner, dans le plus intime abandon, les conseils, les exemples, les exhortations de sa foi et de sa tendresse. « Mes chers enfans, leur dit-elle, je vous écris le 21 juillet, ce jour de déchirant souvenir, où votre excellent père nous a été si cruellement enlevé, à votre grand dommage et pour mon éternelle douleur. Je n’ai jamais manqué ce jour-là (si ce n’est quand je me suis trouvée très malade) de m’humilier sous la main de Dieu, et de répandre devant lui mon âme dans le jeûne et la prière; et pour témoigner mon repentir de mes péchés, je me suis constamment examinée avec soin, tenant note des divers incidens de ma vie et de ma conduite, comme je l’ai fait pour la vôtre dans le cahier que je vous ai remis quand vous avez été reçus pour la première fois à la sainte cène. » Elle raconte à ses enfans les pratiques quotidiennes qu’elle s’est imposées pour qu’aucune de ses actions ne pût échapper à un scrupuleux examen, ses prières habituelles, ses lectures, soit dans l’Écriture sainte, soit dans des ouvrages d’instruction et d’édification religieuse : « Au bout de chaque semaine, je reprends mon papier; j’examine en quoi j’ai particulièrement péché dans ces jours-là, si j’ai été distraite en priant, ou négligente à lire ce que je devais, ou colère, ou pleine de ressentiment, ou toute autre faute, et je résume, en aussi peu de mots que je le puis, mes souvenirs de la semaine. Le premier vendredi de chaque mois, je parcours mes notes, et je me rends compte de mes actions pendant tout le mois, passant rapidement sur ce qui est ordinaire, mais m’arrêtant sur ce qui a été remarquable et important, et doit m’être un sujet, soit de tristesse, soit d’actions de grâces.... On acquiert ainsi une habitude de constante vigilance, et quand l’époque de la sainte cène approche, ou quand je veux me bien examiner moi-même, je trouve à relire ces papiers un grand secours; je n’ai pas besoin de longues recherches dans ma mémoire, et rien de ce que j’ai fait ne peut m’échapper par distraction ou par oubli. Quoiqu’il puisse être d’abord un peu pénible de s’imposer