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immédiatement de cette idée pour la transformer en une loi générale, si bien que nous n’avons plus rencontré dans notre histoire un personnage dont nous n’ayons fait aussitôt un instrument aveugle qui concourt de loin et malgré lui à réaliser notre système. Et comme dans l’imitation on exagère nécessairement les vices de son modèle, nous avons fait notre règle absolue de ce qui était dans Bossuet une exception, un défi jeté à la sagesse humaine.

Chez nous, les hommes ne sont plus détournés de leur but par quelques rares coups de tonnerre de la Providence, qui s’amuse à déjouer leurs calculs dans une conjoncture éclatante. Non, le coup de tonnerre chez nous ne cesse de retentir. Tous les hommes, selon nous, font le contraire de ce qu’ils croient faire. Plus ils sont grands, plus ils sont aveugles, d’où cette maxime que nous répétons à satiété : « Ce tyran, au XIIIe, au XIVe siècle, croit faire de la tyrannie. Illusion! Vous-même vous êtes assez dupe pour le croire : eh bien! ouvrez les yeux. Regardez mieux, élevez votre point de vue, arrivez à ma hauteur : vous découvrirez cachée derrière moi la Providence, par laquelle le mal se change en bien pour préparer la liberté ! »

Ce que nous avons dit des individus, à plus forte raison l’avons-nous dit des événemens. Il n’en est point auquel nous ayons laissé ses conséquences naturelles. Si chaque homme fait le contraire de ce qu’il croit faire, chaque événement produit le contraire de ce qu’il semble produire. Les peuples vaincus sont toujours les vainqueurs, les plus prévoyans sont toujours les plus trompés. Quand de pareils démentis à la raison, à l’esprit borné de l’homme, étaient donnés de loin à loin par quelque grand éclat d’en haut, on pouvait y sentir la présence de la sagesse souveraine qui se révèle à l’improviste; mais quand la raison humaine se trompe toujours, quand c’est là non l’exception, mais la règle invariable, il est à craindre que l’histoire ne devienne un jeu, au lieu d’être un enseignement de la sagesse immortelle. Je vois bien ce que l’homme perd à ce jeu décevant, je ne vois pas ce que la Providence y gagne. Au lieu des larges assises de la raison, sur lesquelles les anciens avaient établi l’histoire, voulons-nous en faire un caprice mystique de l’Éternel ?

Pour corriger les vices de sa méthode, Bossuet possédait le miracle des miracles, le Christ enfant, qui couronnait l’histoire sacrée. Vous aussi vous avez besoin d’un prodige pour racheter des systèmes aussi opposés à la raison ordinaire. Montrez-moi donc un enfant du miracle et un berceau d’où rayonne l’avenir!