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II.

Armés de ces deux principes fondamentaux, — que l’absolutisme est le chemin de la liberté, et que les hommes font toujours le contraire de ce qu’ils s’imaginent faire, — nous entrons dans l’histoire; sur le plan de ces deux idées, nous construisons sans peine nos origines, sans qu’un seul accident sérieux vienne nous contrarier. Les Gaulois se montrent d’abord, et presque aussitôt ils disparaissent; à peine entrevus, ils nous échappent. Ce que nous connaissons de nos ancêtres, c’est leur décadence. Avec cette ruine prématurée, une première question surgit : pourquoi cette race qui est la nôtre est-elle tombée si vite ? Cette chute, est-ce un progrès, et que faut-il en conclure pour la postérité ?

Ce sont, je pense, les Allemands qui les premiers nous ont appris que nos ancêtres les Gaulois étaient incapables d’entrer jamais de leur plein gré dans la civilisation : principe d’où l’on a déduit cette conséquence, que le plus grand bien qui pût leur arriver était d’être conquis par un peuple étranger. Les Romains leur rendirent ce service; nos ancêtres, à proprement parler, ne devinrent des hommes qu’en cessant de s’appartenir. Jules César, en leur coupant le poing, fut leur bienfaiteur. Au contraire, ils n’eurent de pires ennemis que les Vercingetorix et tous ceux qui se firent tuer pour l’indépendance nationale. S’ils l’eussent fait triompher, c’eût été la perte de toute leur postérité. Il fallait deux choses pour l’avantage des Gaulois : premièrement, qu’ils fussent accablés par les Romains; secondement, qu’ils fussent anéantis par les Francs. Lorsque la race gauloise est ainsi deux fois ensevelie, c’est alors que commence pour elle le chemin tortueux et souterrain que nous appelons sa renaissance. Appliquant à nos origines je ne sais quel mysticisme scolastique, il nous plaît que nos ancêtres soient d’abord asservis et extirpés pour nous donner ensuite le spectacle de leur lente et incertaine résurrection. Les anciens mettaient leur gloire à se dire autochthones, nés de la terre qu’ils habitaient; ils croyaient que cet esprit natif indigène était le trésor inaliénable de chaque race. Nous mettons notre honneur à nous faire dès l’origine serfs d’autrui et à dater notre histoire du premier jour de notre esclavage. Nous comptons pour rien dès ce premier moment la perte de ce qu’il y a de plus intime, de plus sacré dans une famille humaine, langue, religion, tradition des aïeux, noble orgueil de soi-même, et par-dessus tout cela indépendance, source de toute vie publique. Nous nous contentons de dire que si nous n’eussions pas été asservis, nous n’eussions jamais su par nous-mêmes construire des amphithéâtres, des thermes, des