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Il nous plaît que d’autres se chargent du soin de notre dignité, de notre fierté, oubliant que toutes les nations qui ont procédé ainsi se sont trouvées incapables à la fin de sortir de tutelle et d’entrer en possession d’elles-mêmes. Que de peuples formés par le pouvoir absolu sont restés dans une éternelle enfance sans avoir pu jamais prendre la robe virile, fantômes dont on a peine à discerner l’existence sous l’histoire de leurs maîtres ! L’éducation du peuple par ses institutions, c’était le fond des historiens de l’antiquité. Par quelle fatalité nos théoriciens ont-ils renoncé à ces larges bases ?

À mesure que les événemens nous pressent, que la nature humaine se soulève, nous nous endurcissons davantage dans notre formule uniforme. Nous la répétons bruyamment pour faire taire le cri des choses à l’approche de la renaissance. La tyrannie d’abord, ensuite la liberté ! mais la liberté ne vient pas, je suis déjà au XVe siècle ; rien n’apparaît à l’horizon. Je crains que par ce chemin nous ne soyons entraînés à une irréparable méprise ; arrêtons-nous, de grâce, quittons ce sentier perdu ; prenons la grande route de la conscience universelle. Voyez ! il en est peut-être temps encore. — Non pas, certes ! Y pensez-vous ? Il serait beaucoup trop tôt. Travaillons seulement à réhabiliter tout ce qui a poussé au pouvoir absolu : nous préparons ainsi les esprits à mieux comprendre les franchises politiques. — Mais nul peuple sur la terre n’a suivi ce chemin sans périr. Vous avez contre vous tous ceux qui ont vu grandir ou tomber une nation. — Je l’avoue, et qu’importe ? Nous faisons exception ; chez nous, le pouvoir absolu a toujours une mission providentielle. Il est vrai que par ce chemin nous n’avons jamais rencontré ce que nous cherchons ; mais cela même nous confirme dans l’idée que notre système est irréprochable et qu’il faut nous y tenir.

Ainsi, de siècle en siècle, l’historien se défait de tout sentiment humain comme d’une faiblesse. Plus il s’éloigne de la nature, plus il s’imagine être dans la vérité, et il ira par cette pente jusqu’à reconnaître une intention bienfaisante de la Providence dans chacun des vices particuliers du prince. Cette superstition chez des esprits si affranchis d’ailleurs éclate avec une étrange naïveté. « Celui-ci, disons-nous, fut bien servi par ses vices, par son égoïsme, par son ingratitude. » Il s’agit de Charles VII. Quand nous arrivons à Louis XI, c’est bien autre chose ; voilà notre héros. Il nous faut sans sourciller tout dévorer de ce roi bourgeois, en qui nous voyons le promoteur, le précurseur de nos révolutions. Tout nous plaît de lui ou doit nous plaire, car il fit tout pour notre bien. « Celui-là ne fut pas de la race des tyrans égoïstes, » répétons-nous en saluant la justice de Dieu qui distribue l’égalité par la main d’Olivier Ledain. L’ancien barbier devenu comte de Meulan chatouille en nous notre âme de