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à cette heure de la nuit ; mais écoutez ! si je vous amène à la maison, je ne jurerais pas que la vieille gouvernante vous laissera entrer. Cependant nous pouvons essayer.

— Puis-je vous demander qui est malade dans la maison ? Est-ce quelqu’un des maîtres ou quelqu’un des domestiques ? demandai-je, car je pensais qu’il n’était pas sans importance, si mes services étaient acceptés, de savoir sur qui j’allais exercer mon talent médical.

— Je ne sais rien des maîtres ni des domestiques, dit l’homme en reprenant ses façons brutales. Vous le saurez si on accepte vos services.

Voyant qu’il n’y avait rien à tirer de cet homme, je le suivis sans mot dire jusqu’à la porte. Il sonna, et nous vîmes presque aussitôt apparaître la femme de charge.

— Thomas, vous êtes déjà de retour ! dit-elle, il me semble que c’est à peine si vous avez eu le temps d’aller à la ville et de revenir. Puis elle regarda sa montre, et comme je l’observais curieusement, il me sembla surprendre quelque chose d’étrange et de hagard dans sa physionomie. — Il faut que vous soyez allé à la ville sur l’aile du vent, reprit-elle ; cela rappelle irrésistiblement à mon esprit la parole de l’Écriture : « Oh ! si j’avais les ailes de la colombe, je m’enfuirais et j’irais chercher le repos. » Allons, allons, tempora mutantur et nos mutamur in illis. Il se passe d’étranges choses sur cette planète sublunaire. Avez-vous amené le docteur ?

— Le voilà, madame, dit l’homme désigné sous le nom de Thomas. Je l’ai rencontré sur la route.

— C’est ainsi que les trésors sont souvent découverts à l’endroit où on les attend le moins, répondit la dame. Entrez, mon cher monsieur. et visitez mon frère. Voyez, je vous en prie, ce que vous pouvez faire pour soulager l’inquiétude de son esprit. Oserai-je vous adresser les paroles de l’immortel Shakspeare : « Peux-tu soulager un esprit malade ? » Si vous le pouvez, vous êtes doublement le bienvenu. Lavinia, montrez au docteur l’appartement de votre tuteur. Mais quoi ! dit-elle en jetant sur ma femme un regard de fureur, je n’ai pas besoin d’une dame pour confidente. C’est assez pour moi de supporter mes propres chagrins et de les tenir cachés dans mon cœur, allez-vous-en, madame ; allez-vous-en, ne soufflez pas cette maison de votre vile présence.

— Cette dame est ma femme, répliquai-je. Nous nous promenions par hasard sur la route, lorsque je vous ai entendue réclamer les services d’un médecin, et étant médecin moi-même, j’ai pensé que je pourrais peut-être vous être de quelque utilité. Cependant vous pouvez envoyer chercher à Concord le médecin de la famille.

— C’est inutile, mon cher monsieur, répondit la dame, qui me