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années la paix universelle et ceux qui l’annoncent encore, comme si la lutte n’était pas partout ! C’est la condition terrible et universelle qui trouve son application même dans l’industrie. Il ne dépend point des hommes de l’éviter ; mais, en subissant une loi nécessaire, ils peuvent en tempérer les rigueurs inutiles ou odieuses. En acceptant la lutte sous toutes ses formes, ils peuvent et doivent se proposer le triomphe de la justice et du droit dans les conflits des peuples, la prééminence des grandeurs morales au milieu du développement de toutes les forces matérielles ; c’est la le meilleur souhait pour l’année qui commence.

CH. DE MAZADE.


Il devient de plus en plus difficile d’exprimer une opinion sincère, indépendante, sur quelque sujet que ce soit. Les parties intéressées ont recours aux procédés les plus étranges pour infirmer le jugement dont elles croient avoir à se plaindre ; elles accusent de mauvaise foi, de légèreté, d’étourderie les écrivains qui ont blessé leur amour-propre. Il serait vraiment beaucoup plus simple de dire : Je m’admire ; mes amis s’associent à la haute estime que j’ai pour moi-même. Vous êtes d’un avis contraire, donc je vous récuse. De cette façon, la discussion ne s’égarerait plus ; le public saurait à quoi s’en tenir. Peintres et poètes ne relèveraient plus que d’eux-mêmes ; ils diraient ce qu’ils pensent de leurs œuvres, et leur parole ferait loi. On n’aurait plus à redouter les caprices ou les erreurs de ceux qui prennent la peine de les étudier. La méthode que je propose se recommande par le bon sens et l’à-propos. Personne en effet ne peut avoir la prétention de juger l’œuvre d’un peintre aussi bien que lui-même ; c’est une vérité qui n’a pas besoin d’être démontrée. Comment pénétrer les secrètes intentions qui ont dirigé l’auteur d’un poème ou d’un tableau ? comment parler de lui en termes convenables, si l’on n’a pas été admis à l’honneur de ses confidences ? Il n’y a qu’imprudence et danger à donner son avis en ne consultant que sa propre pensée.

C’est pour m’être placé dans cette périlleuse condition que je me suis attiré de la part de M. Madrazo le plus terrible des reproches, le reproche de mauvaise foi. Il y a trois mois, je parlais de l’école espagnole, c’est-à-dire des œuvres envoyées par l’Espagne à l’exposition de Paris. J’avais eu soin d’estimer la valeur présente de chaque nation au nom de son passé, abstraction faite des nations voisines, pour éviter toute comparaison blessante. Après avoir estimé Cornélius et Overbeck en rappelant les noms d’Holbein et d’Albert Durer, je croyais pouvoir estimer librement M. Madrazo en rappelant les noms de Murillo et de Velasquez. Il parait que je m’abusais. M. Madrazo prend pour une offense la liberté de mon langage et l’impitoyable fidélité de mes souvenirs. Dans une lettre adressée au directeur de la Revue, il m’accuse en termes formels d’avoir parlé du portrait de la reine Isabelle, d’avoir exprimé sur ce portrait une opinion qui ne repose sur aucun fondement. Murillo et Velasquez m’ont porté malheur. Si j’avais eu la prudence de ne pas rappeler leurs noms, ou si j’avais proclamé M. Madrazo héritier légitime de ces deux maîtres illustres, j’aurais sans doute évité sa colère, peut-être même obtenu ses remerciemens. Je ne puis ni effacer ni atténuer ma faute ; mais j’ai le droit de discuter l’accusation