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était la reine. Louis XIII avait deux motifs pour ne pas l’aimer, l’un était général et de l’ordre le plus élevé, celui qui le sépara de sa mère, pour laquelle il avait une vive tendresse, à savoir l’intérêt de l’état, une politique qui ne fléchit jamais et le ramena toujours à Richelieu, bien que les façons altières du cardinal ne lui plussent point et qu’il lui prît souvent des impatiences et des révoltes qui cédaient bientôt à sa justice et à son patriotisme. L’autre motif n’était pas moins fort et plus personnel. Défiant et jaloux depuis l’affaire de Chalais et ses premières déclarations[1], le roi était demeuré convaincu que la reine s’entendait avec le duc d’Orléans et qu’elle se serait fort bien accommodée de l’épouser après lui et de partager son trône. Cette conviction était à ce point enracinée dans cet esprit malade, qu’après qu’il eut eu des enfans de la reine, et même à son lit de mort, lorsqu’elle lui protesta avec larmes qu’elle était entièrement étrangère à la conspiration de Chalais, il se contenta de répondre que dans son état il était obligé de lui pardonner, mais non de la croire. Il s’efforça de détacher Mlle de Hautefort d’une maîtresse qu’il lui peignait sous les couleurs les plus défavorables, ne se doutant pas que plus il s’emportait contre l’une, moins il persuadait l’autre, et que la persécution même dont Anne d’Autriche ; était l’objet exerçait sur ce jeune et noble cœur une séduction irrésistible. Voyant que tous ses discours ne réussissaient point, il finit par lui dire : « Vous aimez une ingrate, et vous verrez un jour comme elle paiera vos services. »

Richelieu avait vu d’abord avec plaisir le goût du roi pour une jeune fille qui n’appartenait à aucun parti, et dont il n’avait pu deviner le caractère. Il espérait qu’une distraction agréable adoucirait un peu cette humeur sombre et bizarre, qui lui était un continuel sujet d’inquiétude. Il prodigua les complimens et les caresses à la jeune favorite, il s’employa même à dissiper les orages qui s’élevaient souvent dans ce commerce agité, croyant bien en retour la gagner à sa cause et la mettre de son côté ; mais elle, qui n’avait pas consenti à sacrifier sa maîtresse au roi lui-même, eût rougi d’écouter son persécuteur : elle rejeta bien loin les avances du cardinal, et dédaigna son amitié dans un temps où il n’y avait pas une femme à la cour qui ne fît des vœux pour en être seulement regardée.

Aujourd’hui que nous pouvons embrasser le cours entier du XVIIe siècle et mesurer son progrès presque régulier depuis les glorieux commencemens d’Henri IV jusqu’aux dernières et tristes années de Louis XIV, il nous est bien facile de comprendre et d’absoudre Richelieu. Nous concevons que pour en finir avec les restes.

  1. Voyez la Duchesse de Chevreuse, livraison ; du 1er décembre 1855, p. 936.