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fierté maladroite qui ne réussit pas. Richelieu n’était pas homme à remettre le futur roi entre les mains de ses ennemis, et il avait déjà fait nommer à cet emploi important Mme de Lansac, qui lui était toute dévouée. Ses anciens ombrages s’étaient réveillés avec la passion du roi, et, comme la conduite de Mme de Hautefort n’avait fait que les fortifier, au lieu de la servir, il travaillait à la perdre. Cette fois, instruit par l’expérience, il avait compris que, tant que Louis XIII pourrait voir cette ravissante figure et approcher de ce noble cœur, avec des brouilleries plus ou moins longues, Mme de Hautefort reprendrait toujours son empire, et que, pour la détruire, il fallait lui faire quitter la cour et Paris. Il n’ignorait pas que la reine, tout en gardant mieux les apparences, ne cessait d’encourager le parti des mécontens. Il savait que sa jeune confidente s’était liée par ses ordres avec le comte de Soissons et avec Monsieur, et qu’elle était leur intermédiaire auprès de sa maîtresse. Il avait fini par pénétrer jusque dans l’intérieur d’Anne d’Autriche, en gagnant une de ses filles d’honneur, cette jeune, belle et spirituelle Mlle de Chémerault dont La Rochefoucauld fait un si vif éloge. Mlle de Chémerault avait une correspondance mystérieuse avec le cardinal, où elle lui rendait compte de tout ce qu’elle voyait et entendait. Dans cette correspondance, trouvée après la mort de Richelieu parmi ses papiers et livrée à la publicité pendant la fronde, le roi et la reine sont appelés Céphale et Procris ; Mme de Hautefort y est toujours l’Aurore, Mme de La Flotte est la Vieille, Mlle de La Fayette la Délaissée, Richelieu l’Oracle, bien entendu, et elle-même se met sous le nom du bon Ange[1]. Cet ange-là, avec sa jolie figure, sa gaieté et sa candeur apparente, trompa longtemps Mme de Hautefort par des raffinemens de perfidie et de bassesse que la noble femme était incapable de soupçonner.

Richelieu n’avait pas sous la main une autre Mlle de La Fayette pour balancer Mme de Hautefort ; mais, sachant qu’il fallait toujours à Louis XIII une sorte de distraction sentimentale, un amusement de cœur, il avait mis depuis quelque temps auprès de lui un jeune homme de la tournure la plus agréable, le fils d’un de ses amis les plus dévoués et les plus capables, le marquis et maréchal d’Effiat, et, se croyant aussi sûr du fils que du père, il lui avait fait faire un chemin si rapide qu’à dix-neuf ans, en 1639, Cinq-Mars était déjà grand-écuyer. Il avait plu d’abord au roi par sa bonne grâce, et le faible monarque l’avait aussi trouvé bien commode à aimer, puisque cela ne lui faisait pas d’affaire avec M. le cardinal. Ainsi que Richelieu l’avait prévu et espéré, cette inclination nouvelle amortit peu à peu dans le

  1. Journal de M. le cardinal de Richelieu, etc.