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avec laquelle il les supportait Scarron souffrait ; c’était assez, elle s’intéressa au bouffon malade et lui vint en aide de toutes les manières. De là, tant de vers adressés par Scarron à Mme de Hautefort et à sa sœur[1].

Cependant les événemens se pressaient sur la scène mobile qu’elle venait de quitter. Du fond de sa retraite, pendant trois années, elle assista de loin à bien des spectacles qui tour à tour agitèrent son âme de rares joies, d’inquiètes espérances, d’effroi, de compassion, d’horreur. Elle recevait de fréquens et secrets messages d’Anne d’Autriche, qui l’assuraient de sa constante amitié. Un jour, elle reçut de sa part le portrait du petit dauphin comme un présage de jours meilleurs. Quels durent être ses sentimens, lorsqu’elle apprit l’audacieuse entreprise du comte de Soissons, son triomphe à la Marfée et sa mort ! Bientôt aussi elle vit l’ambitieux étourdi qui l’avait remplacée dans le cœur du roi, parvenu au faîte de la faveur, s’en précipiter lui-même, conspirer la perte de celui auquel il devait tout, et, retombé sous la main puissante qui l’avait tiré du néant, porter, à vingt-deux ans, sa tête sur un échafaud. Elle vit enfin ce terrible cardinal, vainqueur de tous ses ennemis au dedans et au dehors, maître du roi et de la France, et, méditant les plus hardis desseins, succomber à ses soucis et à ses infirmités, et Louis XIII, épuisé et languissant, tout prêt à le suivre dans la tombe.

Anne d’Autriche n’osa pas rappeler les serviteurs et les amis auxquels elle tenait le plus avant que le roi eût fermé les yeux. Tout entière à son grand objet, d’être mise par le roi lui-même en possession de la régence, elle s’était résignée aux étroites limites où la déclaration royale du 20 avril 1643 renfermait son autorité, et elle avait souffert sans se plaindre que cette même déclaration maintînt et perpétuât l’exil de sa plus ancienne amie, Mme de Chevreuse, se réservant d’agir plus tard selon son pouvoir et selon les circonstances. Pendant la fin d’avril et le commencement de mai, chaque jour on croyait que le roi allait expirer. Une fois même, la nouvelle de sa mort étant arrivée au Mans, Mme de Hautefort et La Porte se hâtèrent d’accourir à Paris ; le lendemain, il se trouva que la nouvelle était fausse, et il leur fallut regagner leur retraite sans avoir vu personne[2]. Le 14 mai, le roi Louis XIII acheva de mourir, et le 17 la reine écrivait de sa propre main à Mme de Hautefort la lettre suivante : « Je ne puis demeurer plus longtemps sans envoyer de

  1. Lorsque Mlle de Hautefort revint à la cour, elle présenta Scarron à la reine Anne, et elle lui fit obtenir une pension et un bénéfice au Mans. Voyez les pièces que Scarron lui a adressées ainsi qu’à sa sœur, Mlle d’Escars, la diverses époques, t. VII des Œuvres de Scarron, édition d’Amsterdam, 1752.
  2. Mémoires de La Porte, p. 391 et 392.