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excité par l’évêque de Limoges, l’oncle de Mlle de La Fayette, employait contre Mazarin auprès de la pieuse reine les plus vénérés personnages, Emmanuel de Gondi, autrefois général des galères, maintenant prêtre de l’Oratoire, le père du duc de Retz et du célèbre coadjuteur ; le vertueux et hardi Cospéan, évêque de Lisieux, et le père Vincent, chef des pères des missions, qui devait être un jour saint Vincent de Paul. Les couvens étaient entrés dans la sainte cabale, et la reine n’allait pas aux Carmélites, au Val-de-Grâce, aux Filles-de-Sainte-Marie, sans entendre d’incroyables discours, qui troublaient sa conscience et lui laissaient de pénibles souvenirs que Mazarin avait peine à dissiper. L’évêque de Beauvais s’était d’abord adressé à Mme de Sénecé, de la maison de La Rochefoucauld, première dame d’honneur de la reine et gouvernante des enfans de France, et l’avait prié d’avertir la régente du mauvais effet que faisaient sur les honnêtes gens ses longues et perpétuelles conférences avec Mazarin ; mais Mme de Sénecé se ménageait trop pour élever bien haut la voix et pour être fort efficace. Il fallait une âme tout autrement désintéressée et courageuse pour oser se commettre ouvertement avec le premier ministre, et livrer un puissant assaut à la conscience de la reine. Ce fut sur Mme de Hautefort que le parti des saints jeta les yeux ; elle accepta volontiers ce rôle périlleux, comme de son côté l’avait accepté Cospéan, et elle parla avec autant de force que le digne évêque. Elle n’eut pas un autre succès. « Anne d’Autriche, dit un homme qui la connaissait bien[1], étoit facile à persuader, elle n’avoit de fermeté que pour les choses qu’elle affectionnait extraordinairement. » Et elle en était venue à affectionner extraordinairement Mazarin. De quelque nature que fût cette affection, elle résista à tout, à sa piété même, qui était extrême et effrayait tant le cardinal. Les alarmes vives et profondes qu’il laisse paraître dans ses carnets nous peuvent donner une idée de la puissance du parti dévot sur la régente. Parmi les hommes, celui que Mazarin craignait le plus était le vertueux évêque de Lisieux ; il avait résolu de l’éloigner à tout prix, et comme Mme de Hautefort était de toutes les dévotes de l’intérieur de la reine la plus sincère, la plus hardie, la plus accréditée, après avoir fait d’inutiles efforts pour la mettre de son côté, il se décida à ne rien négliger pour la perdre. Il ne pouvait lui reprocher son ambition, car elle ne demandait rien, accuser sa politique, puisqu’elle n’avait à cet égard aucune prétention, encore bien moins mettre en doute un dévouement dont elle avait donné tant de preuves ; habilement il l’attaqua par son côté vulnérable : il se plaignit de sa hauteur et de la liberté trop peu respectueuse

  1. Mémoires de La Porte, ibid., p. 335.