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de se délivrer de cette perpétuelle censure, et elle n’en attendit plus que l’occasion.

Le trait dominant du caractère de Mme de Hautefort, avec la générosité et le courage, était une intarissable bonté. À la cour de Louis XIII, elle était la ressource de tous ceux qui avaient à faire entendre quelque plainte ou à réclamer quelque faveur légitime. Elle n’hésitait jamais à se mettre en avant dès qu’elle croyait la justice intéressée. Elle avait continué ce rôle depuis qu’elle était revenue auprès d’Anne d’Autriche. Quelques jours après la triste promenade de Vincennes, le 13 ou le 14 avril, un soir, à ce que raconte Mme de Motteville, la reine allant se mettre au lit et n’ayant plus que sa dernière prière à faire, « Mme de Hautefort, toujours occupée à bien faire, en déchaussant la reine, appuya la recommandation d’une de ses femmes qui parloit en faveur d’un vieux gentilhomme servant, qui depuis longtemps étoit son domestique et demandent quelque grâce. Mme de Hautefort, ne trouvant pas la reine de trop bonne volonté pour lui, lui dit et lui fit entendre par des souris dédaigneux qu’il ne falloit pas oublier ses anciens domestiques. La reine, qui n’attendoit qu’une occasion pour se défaire d’elle, contre sa douceur ordinaire ne manqua pas de prendre feu là-dessus, et lui dit avec chagrin qu’enfin elle étoit lasse de ses réprimandes et qu’elle étoit fort mal satisfaite de la manière dont elle vivoit avec elle. En prononçant ces paroles, elle se jeta dans son lit et lui commanda de fermer son rideau et de ne lui plus parler de rien. Mme de Hautefort, étonnée de ce coup de foudre, se jeta à genoux, et, joignant les mains, appela Dieu à témoin de son innocence et de la sincérité de ses intentions, protestant à la reine qu’elle croyoit n’avoir jamais manqué à son service, ni à ce qu’elle lui devoit. Elle s’en alla ensuite dans sa chambre, sensiblement touchée de cette aventure, et je puis dire fort affligée. Le lendemain, la reine lui envoya dire de sortir d’auprès d’elle et d’emmener avec elle Mlle d’Escars, sa sœur[1]. » Voilà le récit d’une amie de la reine. Celui de l’amie de Mme de Hautefort, qui nous a laissé l’histoire de sa vie, est bien différent. Après la scène, que l’amie de Mme de Hautefort donne un peu autrement, celle-ci, au lieu de se jeter à genoux en protestant de son innocence et de chercher à se sauver, comprit d’abord l’intention d’Anne d’Autriche et vit bien qu’il fallait quitter la cour. « Elle[2] ferma le rideau de la reine, comme elle avoit accoutumé les autres jours, et lui dit : « Je vous assure, madame, que si j’avois servi Dieu avec autant d’attachement et de passion que j’ai fait toute ma vie votre majesté, je serois

  1. Mémoires, t. Ier, p. 205.
  2. Vie manuscrite.