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feuille morte les remplira de terreur ; ils s’enfuiront devant elle comme devant une épée ; ils s’enfuiront et tomberont la face contre terre, bien que personne ne les poursuive. » Le tableau de M. Kompert est la vivante traduction de ces paroles. L’enfant seul (symbole. expressif), l’enfant seul et l’insensé n’ont pas partagé la commune épouvante.

Il n’y avait cependant rien de sérieux dans ces aventures nocturnes. Il n’y avait pas de complot contre les émigrans israélites, pas d’émeute, pas d’incendie. C’était plutôt le contraire. Le lendemain, après une nuit d’insomnie et d’angoisses sous ce toit qu’ils avaient cru incendié, nos gens s’occupaient encore des premiers soins de leur installation ; quand, arrive chez Rebb Schlome une députation du village. Celui qui la conduit est un homme robuste, aux épaules carrées, à la figure franche et loyale. Il parle au nom de tous, parce que le suffrage populaire l’a fait magistrat de la petite communauté. Il va droit à Nachime, lui prend les mains et les secoue cordialement. « À celle-là d’abord mon salut ! — dit le rustique magistrat d’une voix qui fait résonner les vitres À celle-là d’abord, car c’est la femme qui est l’âme et la vie dans le ménage du paysan, et ensuite à toi, Rebb Schlome ! » Il lui serre la main comme il a fait à Nachime ; puis, ôtant son chapeau à larges bords et enveloppant ; de son regard toute la famille assemblée : « Soyez les bienvenus, dit-il, au nom de notre Seigneur Jésus-Christ ! Puisse le bonheur et la santé vous réjouir à souhait dans notre village ! Nous savons, nous autres paysans, ce qu’il faut demander à Dieu ; que Dieu vous donne tout cela, à toi, à ta femme et à tes enfans ! » Rebb Schlome est si ému, qu’il ne sait que répondre ; mais les larmes qui coulent sur ses joues expriment mieux que des paroles les sentimens qui l’animent. Il se remet pourtant peu à peu, et s’excuse de son émotion. Il cherche en même temps à expliquer son inquiétude. Quand on quitte sa profession et sa demeure pour entreprendre une vie nouvelle, est-on sûr de l’accueil qui vous attend ? Hier encore, le village ne paraissait-il pas soulevé contre les arrivans ? Ah ! quelle soirée d’épouvante et d’angoisses ! Ils ne l’oublieront de leur vie. — À ces mots imprudens, le paysan irrité frappe le sol de son bâton ferré et fait retentir un juron épouvantable. « En sommes-nous encore là, s’écrie-t-il, et ces haines d’autrefois ne s’éteindront-elles jamais ? Ne sommes-nous pas tous égaux ? À quoi bon cette liberté que l’empereur nous a donnée à tous, si les hommes ont peur des hommes comme on a peur d’une bande de brigands ? » Un murmure d’indignation parcourt les rangs des laboureurs comme pour confirmer ce cri du magistrat. « C’est moi qui ai tiré le coup de fusil, dit une voix, je donnais le signal de votre arrivée. — C’est moi qui ai composé la chanson, dit un autre, et le feu qui vous effrayait,