Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/313

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur une population à demi émancipée les lois barbares du moyen âge. L’Autriche est-elle donc assez prospère pour repousser impunément des hommes qui sont résolus à devenir des citoyens utiles ? N’y a-t-il pas en Bohême, en Hongrie, en Illyrie, en Gallicie, en Transylvanie, assez de difficultés et de périls causés par l’antagonisme des races, sans augmenter à plaisir ces divisions menaçantes ?

Je sais toutes les objections qu’on oppose à l’affranchissement trop rapide de la race juive ; j’y réponds par les écrits de M. Kompert. Cette enquête sympathique et sévère fournit sur les Israélites de Bohême d’inestimables renseignemens, et il est impossible de révoquer en doute l’impartialité de l’écrivain quand on le voit donner de si vigoureuses leçons à son peuple. Ces Juifs de Bohême sont une race honnête et débonnaire. Ils ont quelque chose de la douceur, de la sensibilité indolente qui semble propre au caractère autrichien. Ce n’est pas là qu’on trouve ces fanatiques dont l’espoir opiniâtre ne s’éteindra jamais. M. Kompert a peint çà et là de mystiques rêveurs qui appellent de leurs vœux impatiens les triomphes promis aux enfans d’Israël ; tel est, dans les Scènes du Ghetto, ce vieux mendiant Mendel Wilna qui part un matin pour aller reconstruire le temple de Salomon ; tel est aussi, dans le roman que je viens de juger, ce pauvre fou, le cousin Coppel, qui croit que David est revenu et que son bouclier est une sauvegarde invincible pour les soldats de sa sainte milice ; mais ces naïves hallucinations sont rares chez les Juifs de Bohême, et là où elles apparaissent de loin en loin, elles n’excitent que le sourire et la pitié. On a vu dans les temps modernes des Juifs exaltés entraîner des populations entières par une folie assez semblable à celle de Mendel Wilna. Il y en eut jusqu’au XVIIe siècle, et l’un d’eux qui venait de prendre le titre de Messie faillit mettre l’Occident en émoi : « Tous les Juifs, dit Bossuet, commençaient à s’attrouper autour de lui. Nous les avons vus en Italie, en Hollande, en Allemagne, et à Metz, se préparer à tout vendre et à tout quitter pour le suivre. Ils s’imaginaient déjà qu’ils allaient devenir les maîtres du monde, quand ils apprirent que leur christ s’était fait Turc et avait abandonné la loi de Moïse. » Je ne sais si ce christ du XVIIe siècle aurait trouvé des adhérens en Bohême ; il est certain qu’il n’en trouverait pas aujourd’hui, et ce qui me frappe dans le sympathique tableau de M. Kompert, c’est de voir ces pauvres gens si doucement résignés. Qu’ils le sachent ou qu’ils l’ignorent, l’influence de l’Évangile a transformé insensiblement leurs idées et leurs mœurs. Ceux qui sont restés le plus obstinément fidèles au culte de leurs aïeux appartiennent sans y prendre garde à ce christianisme naturel que la suprême raison a mis au fond de nos âmes.

Je lis dans une savante étude sur la poésie juive et la littérature