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Avec le règne des princes de la maison de Bourbon commença un retour vers la reconnaissance et vers la justice. Sous Henri IV et sous Louis XIII, le nom de la vierge de Domremy fut remis en honneur ; la société de l’hôtel de Rambouillet s’inclina devant son héroïque et chaste figure, et sa statue, renversée par les iconoclastes de la réforme en 1567, fut relevée dans la ville qu’elle avait délivrée. Un concours fut ouvert pour composer l’inscription destinée à ce monument. L’aigle du temps, Malherbe, y porta quelques méchans vers qu’on pardonne au sentiment patriotique qui les inspira.

Il était écrit d’ailleurs que la poésie porterait toujours malheur à l’être dont il semble qu’il devrait suffire de prononcer le nom pour en faire déborder toutes les sources. L’épopée de Chapelain, publiée en 1656, porta à Jeanne d’Arc un coup non moins funeste que celui qu’elle avait reçu des odieuses inventions de Du Haillan. Ce poème, annoncé comme un chef-d’œuvre, n’obtint qu’un succès de fou rire, et l’héroïne se trouva enveloppée dans la chute du malheureux poète. L’effet de ce désastre littéraire fut si grand, qu’il fit, même pour les bons esprits, approcher le ridicule de la vie la plus propre à le défier par la grandeur des souffrances et des services. Les travaux d’érudition, si nombreux dans le XVIIe siècle, se détournèrent de cet écueil comme par un dessein concerté, et l’opinion demeura suspendue dans une sorte d’incertitude dont les travaux apologétiques, d’ailleurs inédits, d’Edmond Richer sur la pucelle n’étaient pas en mesure de la tirer.

Telle était sur cette partie de notre histoire la disposition déplorable de l’esprit public lorsque Voltaire osa l’acte dont l’accablante responsabilité ne retombe pas moins sur son temps que sur lui-même. Cette œuvre était en effet le plus cruel châtiment qui pût être infligé à un pays pour son ignorance et pour son ingratitude. La leçon profita : toute sceptique que fut cette génération, tout indifférente qu’elle demeura aux grandeurs de l’âme et de l’histoire, elle s’indigna qu’on la crût tombée assez bas pour oser lui servir une telle pâture. La publication de la Pucelle, qui eut lieu au milieu du XVIIIe siècle, détermina un vif retour, dont l’effet fut de commencer sur des bases très étroites, il est vrai, et avec des matériaux fort incomplets, une sorte de réhabilitation de Jeanne d’Arc. Lenglet-Dufresnoy et l’abbé Dartigny s’attachèrent à venger l’honneur de la femme et de la guerrière. Cette œuvre fut continuée avec plus de science et d’autorité par M. de Laverdi, ancien ministre du roi Louis XV, et ce fut en se rattachant au même mouvement d’idées qu’écrivirent plus tard MM. Le Brun des Charmettes et Berriat Saint-Prix. Si ces écrivains n’ont pas unanimement admis l’inspiration divine de Jeanne, ils ont du moins reconnu qu’elle y croyait pleinement elle-même,