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de l’arbre des fées, sous lequel elle venait s’abriter quelquefois avec les autres enfans du village, elle oppose des dénégations fermes et légèrement ironiques, tirées des croyances de l’église et des enseignemens de son curé. Dans cette enquête, le cœur de la douce enfant reluit comme un miroir qu’aucun souffle n’a terni : les erreurs les plus usuelles dans son siècle n’ont pas effleuré la rectitude de son esprit, et nul sentiment exalté ne s’est encore produit dans cette âme, ignorante des vices du monde comme de ses propres vertus. Jamais il ne fut plus difficile de soupçonner l’héroïsme que chez cette fillette de douze ans, réservée sans maussaderie, grave sans tristesse, qui ne connaissait d’autre plaisir que d’ouïr la messe chaque matin et de prier avec dévotion au tintement de l’Angelus du soir.

Une crise s’opéra cependant dans cette nature placide. Vers la treizième année de son âge, Jeanne, sans sortir encore du calme extérieur de sa vie, est agitée par des émotions contre lesquelles elle engage visiblement une lutte terrible. Ce fut à l’époque où les maux de la guerre vinrent fondre sur la lointaine vallée et contraignirent les habitans de Domremy à se réfugier avec leur bétail, soit dans les murs de Neufchâteau, soit dans une petite tour fortifiée qui dominait leur village. Jeanne n’avait séjourné que quelques semaines hors de son hameau natal, mais le spectacle de désolation auquel elle assista avait ouvert devant elle de nouveaux horizons. Sa piété revêtit un caractère plus ardent et plus mélancolique. Sans manquer à aucun de ses devoirs, elle recherchait davantage la solitude, allant de sanctuaire en sanctuaire pour demander à la Vierge sainte de lui épargner les épreuves dont le pressentiment bouleversait déjà son être, et priant le plus souvent à l’ombre des forêts, dont le murmure semblait correspondre aux tempêtes de son âme[1]. Le son des cloches lui causait surtout d’inexprimables ravissemens, elle le suivait à travers les airs, comme si des voix du ciel fussent descendues vers elle avec leurs vibrations sacrées. L’enquête a conservé le naïf témoignage du marguillier auquel elle fit de petits présens pour le déterminer à sonner les cloches de la paroisse à toute volée[2].

Ses parens ne reconnaissaient plus leur Jeannette. Son cœur portait le poids d’un secret qu’elle s’efforçait de leur cacher, des soupirs

  1. « Et saepè cùm jocaret insimul cum aliis puellis in pasturis sivè pascuis, Johanna se trahebat ad partem et loquebatur Deo, ut sibi videbatur, et ipse, et alii deridebant cam. Bona erat et simples, nebat, necessaria et utilia domus prœparabat, ad aratrum cum patre ibat, frequentabat ecclesias et loca sacra, ità quod aliquotiens, dum erat in campis et ipsa audiebat campanam pulsare, ipsa flectebat genua, portabat sœpè candelas et ibat ad Nostram Dominam de Bermont in peregrinationem. » (Déposition de Jean Waterin, Proc. de revis., t. II, p. 420.)
  2. « Et ipsa promiserat eidem testi dare lanas ut diligentiam haberet pulsandi completorias. » (Déposition de Perrin le drapier, t. II, p. 413.)