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promesses et de ravitailler Orléans en attendant qu’elle le délivre. Le 27 avril 1429, elle part de Blois avec une armée confondue du changement qui s’est déjà opéré dans son propre cœur. Ces affreux soudards, ivrognes, pillards et dissolus, ont, sur l’ordre d’une enfant qu’ils voient pour la première fois, éloigné d’eux toutes les femmes de mauvaise vie qui les suivaient de temps immémorial. Au lieu des blasphèmes et des cris de l’orgie, on n’entend plus s’élever dans leurs rangs que des hymnes et des prières ferventes. Jeanne n’admet auprès d’elle que des hommes retrempés par la pénitence et nourris du pain des forts ; un clergé nombreux et d’étincelantes bannières précèdent l’armée qui porte à Orléans les approvisionnemens devenus si nécessaires. Au dire de tous les écrivains contemporains, depuis Jean Chartier jusqu’au chroniqueur anonyme édité par Denis Godefroy, la marche de ce grand convoi à travers les plaines de la Sologne ressemblait bien plus au mouvement d’une procession qu’à celui d’une armée. Jeanne s’avançait tenant à la main son mystérieux étendard avec une contenance ferme et sereine. Elle était heureuse comme les séraphins qui voient s’accomplir l’œuvre de Dieu ; elle était confiante, et pourtant on l’avait trompée !

Effrayés à la pensée de traverser avec si peu de forces les lignes anglaises, aussi nombreuses que bien retranchées, les chefs avaient fait prendre par la rive gauche, malgré les prescriptions de Jeanne, qui entendait les forcer. Cependant, arrivés en vue d’Orléans, ils rencontrèrent devant eux des obstacles d’une nature non moins sérieuse, car on avait trop peu de bateaux pour charger les provisions, et un vent terrible empêchait d’aborder à la ville. Laissons parler ici le plus illustre témoin de cette scène, et n’oublions pas que la véracité de ces paroles, si étranges qu’elles puissent nous paraître aujourd’hui, est garantie par le témoignage le plus solennel qui puisse se présenter dans l’histoire, par le serment de Dunois. « Est-ce vous qui avez donné le conseil de venir par ce côté-ci et qui m’avez empêchée d’aller directement là où sont Talbot et les Anglais ? — À quoi le déposant répondit que d’autres plus sages que lui avaient cru ce conseil plus sûr. Alors Jeanne répondit : En nom Dieu, le conseil de notre Seigneur est plus sûr et plus sage que le vôtre. Vous avez voulu me tromper et vous vous êtes trompés vous-mêmes, car je vous amène le meilleur secours qui ait jamais été donné à aucune ville et à aucune armée, puisque c’est le secours du roi du ciel. Il ne provient pas de moi ; il vous est envoyé, à la requête de saint Louis et de saint Charlemagne, par Dieu lui-même, qui a eu pitié de la ville d’Orléans… Et dit en outre le déposant qu’au même moment le vent, qui jusqu’alors avait été contraire et empêchait par sa violence le transport des vivres, changea et devint tout à coup favorable.