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anglaise se résolurent à une retraite devenue nécessaire, puisque la prise d’Orléans était désormais manifestement impossible. Jeanne avait fait dresser un autel en plein air entre les murs et les bastilles anglaises pour y célébrer la victoire de la France. Au moment où l’ardent Te Deum montait dans les airs comme un long cri de délivrance, on aperçut les lignes épaisses des Anglais tournant le dos à Orléans et se dirigeant vers Meung. Alors chacun courut à son destrier et à sa lance ; mais d’un signe Jeanne refréna cette ardeur si naturelle de poursuite et de vengeance. « Ils s’en vont, ne les poursuivons outre et ne les tuons, car c’est aujourd’hui dimanche, et allons remercier Dieu. » Alors bourgeois, paysans, soldats et prêtres, portant sur leurs bras l’enfant par qui leur étaient venus tant de biens, consommèrent l’alliance qui jusqu’à la dernière génération unira le peuple Orléanais à sa libératrice, union touchante que la France était appelée à voir se renouveler sous la bénédiction d’un prélat dont l’éloquente parole a réveillé après quatre siècles, dans la sainte basilique, le puissant écho des acclamations du grand jour[1].

Orléans était délivré, et la France se sentait revivre. Jeanne avait accompli la première et certainement la plus hardie de ses promesses, car la terreur allait la précéder désormais, puisqu’en se montrant à l’ennemi, elle paralysait le courage au cœur des plus braves. Néanmoins la marche sur Reims semblait, sous le rapport stratégique, présenter des difficultés plus insurmontables encore. Traverser soixante lieues d’un pays occupé par l’ennemi et hérissé de places fortes, passer trois rivières et s’exposer à plusieurs grands sièges, faire cela avec quelques milliers d’hommes enivrés du succès de la veille, mais que le premier obstacle pouvait jeter dans un découragement profond, entreprendre une telle campagne avec quelques centaines de francs dans le trésor royal[2], lorsque le régent anglais faisait refluer vers la Champagne toutes les forces disponibles dans le nord du royaume, c’était au point de vue de la prudence humaine un véritable acte de démence.

Les incertitudes de Charles YII et de son conseil étaient donc fort naturelles. Ce prince avait été attéré par le secret de Chinon, et la délivrance d’Orléans avait excité dans son âme autant de joie qu’en comportait sa nature languissante : en présence de la noble fille, il s’animait un moment au feu de sa parole et de ses regards ; mais loin d’elle, la foi cessait bientôt d’échauffer son faible cœur. Il en était ainsi pour tous les membres de son conseil, qui, sans méconnaître les miracles du jour, s’obstinaient à douter de ceux du lendemain. Parmi ceux-ci, le sire de La Trémouille figurait au premier

  1. Solennité du 8 mai 1855.
  2. Procès, t. III, p. 85 ; Il IV, p. 127, 335.