Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/364

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Que voulez-vous que je fasse ? dit Gérard. Si je puis vous être bon à quelque chose, disposez de moi.

Il fut convenu entre elle et Gérard qu’il retournerait au parc, et que si Thérèse lui demandait encore de la venir voir dans son jardin, il s’y rendrait ; mais surtout il promit de ne pas la tirer de son erreur et d’agir en toutes choses comme s’il eût été réellement Rodolphe. Mme de Lubner lui donna quelques indications qui devaient lui permettre de jouer son rôle, et ils se séparèrent.

Le jour même, quand ils se revirent, Thérèse ne manqua pas de dire à Gérard qu’elle l’attendait dans son jardin.

— Nous y serons seuls, reprit-elle, personne ne vous y verra ; ainsi ne craignez rien.

Il promit d’y aller, et s’y rendit en effet à sept heures.

La maison habitée par Thérèse était entourée de haies vives et d’arbustes comme une maison de campagne. Située à l’une des extrémités de la ville et décorée avec beaucoup de goût, elle avait un aspect souriant qui plaisait au regard : elle était blanche avec des touffes de roses le long des murs. Quand Gérard parut, Thérèse venait de sortir de son sommeil léthargique. Elle passa vivement son bras sous le sien et l’entraîna vers un berceau de jasmins et de chèvrefeuilles où ils s’assirent l’un près de l’autre.

— La lune va se lever dans une heure, dit-elle, nous prendrons du chocolat et nous ferons de la musique.

Elle battit des mains comme un enfant et regarda Gérard.

— M’aimez-vous ainsi ? reprit-elle ; j’ai pensé à vous en mettant ces rubans bleus.

Thérèse était une de ces femmes à qui le chapeau fait perdre une partie de leurs avantages. Tête nue, elle était charmante ; elle avait une grâce singulière dans tous les mouvemens et un son de voix d’une douceur extrême. Gérard, qui ne pouvait s’empêcher d’être ému en la regardant, la trouva donc ce qu’elle était réellement, très jolie et très séduisante. Elle avait dans l’esprit un tour original qui prêtait un grand attrait à sa conversation ; on n’y découvrait aucun trouble, aucun embarras, mais elle laissait voir une certaine exaltation dans toutes les choses qui touchent aux influences occultes, à la vertu des songes et des pressentimens, et cette exaltation mêlait un grain de bizarrerie à la fraîcheur de son esprit. Sur ces questions-là, elle se montrait intraitable.

— Que de fois vous avais-je vu avant de vous retrouver ! dit-elle à Gérard. Le matin même du jour où je vous ai salué pour la première fois, vous m’étiez apparu dans mon sommeil ; aussi n’ai-je pas été surprise quand je vous ai rencontré.

Elle voulut que Gérard lui racontât ses voyages. Grâce aux indi-