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Thérèse secoua la tête tristement.

— Oh ! ce n’est pas la même chose !… Il n’y a rien dans votre cœur qui ressemble à ce qu’il y a dans le mien.

Elle détacha vivement un des rubans bleus qui flottaient sur son corsage, et le chiffonnant autour de son doigt avec un geste mignon :

— Tenez, poursuivit-elle, il serait plus facile à ce ruban de changer de nuance, et de passer du bleu au rouge et du rouge au vert, qu’à moi de changer d’amour.

Ce mot produisit sur Gérard l’effet d’une étincelle électrique ; malgré lui, il passa ses bras autour de la taille de Thérèse et l’attira sur son cœur. Elle sourit, posa son front sur l’épaule du jeune homme et ferma les yeux. — On est bien ainsi, murmura-t-elle, et je voudrais dormir.

Les bras de Gérard s’ouvrirent, et il abaissa sur Thérèse le chaste regard d’un frère qui veille sur le sommeil de sa sœur.

En quittant le jardin cette nuit-là, Gérard était dans un état de trouble inexprimable. Au lieu de rentrer à son hôtel, il alluma un cigare et se promena au hasard dans les rues désertes de la ville. — Que diraient mes amis, pensait-il, s’ils me voyaient à côté d’une petite fille, échangeant avec elle des paroles confuses comme le brouillard, et chantant des barcarolles au clair de la lune ? De quel effroi ne seraient-ils pas saisis s’ils apprenaient que les petits rubans de son corsage me semblent plus redoutables et m’inspirent plus de respect que toutes les grilles et tous les maris du monde, que mon cœur, — un cœur de trente ans, — bat au contact d’un morceau de soie touché par ses doigts enfantins ! Je ne soupe plus, je dîne à peine, et je vis à D… comme si j’étais à quatre mille lieues du Café de Paris. Et s’ils savaient que j’oublie le bois de Boulogne, le boulevard, le club et l’Opéra, ne me croiraient-ils pas perdu ? Et si par étourderie l’un d’entre eux me demandait où ce beau roman me conduira, que répondrais-je ? Du diable si je le sais, et peut-être ne voudrais-je pas le savoir ! — Dans l’ordre des sentimens que Gérard avait connus, — caprice, amitié ou passion, — il ne trouvait rien d’analogue à celui qu’il éprouvait pour Thérèse. Ce sentiment était vif sans être violent, profond sans avoir d’avenir, sincère sans être sérieux. Peut-être serait-il plus simple de dire qu’il aimait comme la Providence voulait qu’il aimât dans ce moment.

Les soirées qu’il passait avec Thérèse avaient fini par devenir quotidiennes ; elles commençaient vers sept heures et n’étaient jamais terminées avant minuit. La conversation, la musique, la promenade, la rêverie, en faisaient tous les frais. Mme  de Lubner, tranquillement assise dans un grand fauteuil, lisait ou faisait de la tapisserie ; quelquefois même elle s’endormait. On parlait bas alors pour ne pas la