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Gérard n’osait pas la rejoindre : il aurait voulu consoler Thérèse, et cependant il ne voulait pas mentir. Il se taisait donc, craignant qu’une parole imprudente n’augmentât le trouble dans lequel il la voyait. Au bout de quelques instans, elle revint à lui :

— Puisque vous partez, dit-elle, je veux vous donner un portrait qu’on a fait de moi il y a deux ans, au temps où je me souvenais. C’est un petit médaillon. On dit qu’il est fort ressemblant. Me promettez-vous de ne jamais vous en séparer ?

— Je vous le promets, dit Gérard.

— Prenez-y garde ! Si vous veniez à le perdre ou à le donner, je le sentirais et j’en mourrais !

On voyait à son accent et à l’éclat de ses yeux qu’elle avait la fièvre. Gérard prit sa main, qui était brûlante. — Pourquoi cette exaltation ? dit-il en s’efforçant de sourire. Croyez-vous donc que la vie tienne à un portrait ?

— Oh ! reprit-elle, il y a des choses que vous ne savez pas. J’avais un beau portrait de Rodolphe ; chaque matin, je lui disais bonjour, comme si lui eût été là pour m’entendre et me voir. Un matin, je le trouvai par terre ; en tombant, un bout du cadre avait touché le feu, et la toile était à moitié consumée. Mon cœur se serra, et un pressentiment terrible m’envahit tout entière. C’est depuis ce moment qu’on cessa de me parler de lui ; c’est depuis ce moment que je souffre de cette douleur à la tête qui ne me quitte presque jamais. Vous êtes arrivé, et cependant je ne suis pas guérie !

Elle quitta Gérard et courut vers la maison, d’où elle revint un moment après avec le médaillon suspendu à un ruban bleu. — Tenez, dit-elle, prenez-le. Je n’ai plus ce même sourire, mais le cœur n’a pas changé. — Elle passa le ruban au cou de Gérard, qui se sentait venir des larmes dans les yeux en le regardant, et le ramena doucement au salon, où Mme  de Lubner lisait douillettement blottie dans un fauteuil.

De l’agitation que Thérèse avait laissé voir une heure auparavant, il ne restait plus rien qu’un peu de pâleur. Elle s’assit au piano, joua d’abord lentement, puis avec feu, et se mit à chanter la Marguerite au rouet de Schubert avec une telle expression, que Gérard croyait l’entendre pour la première fois. Frappée elle-même de cette expression, Mme  de Lubner laissa tomber le volume sur ses genoux. — Je crois, dit-elle en se penchant à l’oreille de Gérard, je crois que la raison lui revient.

— Hélas ! répondit Gérard tout bas, je crois que son âme s’en va !

Il est difficile de savoir ce que Gérard eût fait, si, à peu de jours de là, il n’eût reçu une lettre de l’ami auquel il avait écrit peu de temps après son arrivée à D… Cette lettre lui annonçait qu’une af-