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voient encore. Une ligne de ses commentaires, sauvée par hasard, marque la direction qu’il suivit. « Nous marchâmes[1], dit-il (car il a renoncé à la troisième personne des Commentaires de César), de Bersobie à Aixi. » C’était donc[2] le chemin de Tibisque qu’il suivait, droit au nord, vers le Tèmês ; le reste des troupes remonta la vallée de Czerna, l’un des affluens du Danube. La jonction s’opéra au confluent du Tèmês et de la Bistra, d’où l’armée, se tournant à l’est vers le massif des montagnes de la Transylvanie, entra dans les défilés des Portes-de-Fer. Le plus souvent il fallait se tracer une route, la hache à la main, à travers d’épaisses forêts solitaires non encore explorées. On n’y rencontrait que l’aurochs, l’ours, le sanglier ; une si grande solitude étonnait, elle semblait pleine d’embûches. Les soldats ne s’engageaient pas sans hésitation dans ces hautes futaies ténébreuses devant lesquelles avait reculé jusque-là l’audace des légions. On avait vu ces mêmes peuples couper des forêts entières et les laisser subsister debout de manière à en écraser des armées.

C’est dans l’un de ces défilés qu’un messager apporta avec mystère à Trajan un énorme champignon qui contenait une lettre en caractères latins, dans laquelle, au nom de son propre salut, il était sommé de retourner sur ses pas. La résistance ne commença qu’aux environs des Portes-de-Fer, lorsqu’on eut atteint, entre les sources du Syul, du Strey et de la Bistra, les régions les plus abruptes où l’ennemi s’était concentré. Entre deux rochers à pic, le général romain jeta sur la Bistra un pont qui reçut le nom de pont d’Auguste. Il livra trois grands combats sur cette rivière et sur le Maros, champs de bataille qui sont encore aujourd’hui connus des paysans sous le nom de prairie de Trajan (prat Trajanouloui). Selon Dion Cassius, la situation de l’armée romaine, séparée de ses bagages, de ses ambulances, fut un moment si critique, que le général déchira ses habits pour panser les blessés. Enfin on atteignit le plateau des Carpathes. Le siège fut mis devant Sarmizegethusa, la citadelle des Daces. Elle était située dans l’un des contreforts du mont Vulcan, près de la source du Syul valaque et du village de Varhély. Acculé dans sa ville sainte, Décébale envoya des ambassadeurs, les mains jointes derrière le dos, à la manière des esclaves, pour demander la paix. On la lui accorda aux conditions suivantes : les Daces livreraient leurs armes, leurs machines de guerre, leurs transfuges ; ils détruiraient leurs retranchemens, leurs forteresses, ils se retireraient de tous les lieux occupés par les Romains, dont ils deviendraient

  1. Inde Berzobim, deinde Aixi processimus.
  2. Voyez la table de Peutinger, segm. VI, VII.