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La Dacie, d’après Jornandès, apparaissait aux Barbares enveloppée de monts inaccessibles comme d’une couronne. Dans la réalité, cette couronne est une demi-circonférence fermée à l’est, ouverte à l’ouest, qui forme, par les Carpathes orientales, un boulevard continu depuis le Danube jusqu’aux sources du Sereth et du Pruth. Les crêtes de cette chaîne vont en s’abaissant du nord au sud. Le mont Pion (Tchachléou), qui sépare la Moldavie de la Transylvanie, a sept mille pieds au-dessus de la Mer-Noire[1] ; le Vulcan, qui fait la frontière de la Valachie, n’en a pas six mille. C’est là le boulevard naturel dont se couvrirent à l’est les colonies latines ; elles en suivirent exactement les courbes escarpées, les angles et les pentes. La première de ces colonies est Zerna (une inscription trouvée dans le voisinage porte Tsiernan) ; elle était établie au pied des montagnes, à la frontière sud de la Transylvanie et de la Valachie sur la rivière Czerna, qui a gardé son nom. Placée au débouché du pont de pierre, c’est elle qui gardait les communications avec la mère-patrie. Je remarque en outre que le mot czerne, qui s’est conservé dans le roumain et le slave, veut dire noir. C’est peut-être le seul mot que l’on connaisse avec certitude de la langue des Daces. En se dirigeant au nord dans le cœur du pays, vers les Portes-de-Fer, on rencontrait la seconde colonie, Sarmizegethusa, qui reçut le nom d’Ulpia Trajana, et que l’on appelait aussi la métropole ; elle tenait la place de la citadelle de l’ennemi. Des restes de murs, d’amphithéâtre, d’aqueducs, de temples, marquent sa situation près du village de Varhély. De là, après avoir traversé le Maros, on trouvait sur le plateau opposé Apulum, qu’un chef de Hongrois découvrit à la chasse au VIIIe siècle sous l’épaisse forêt qui l’abritait des Barbares. Apulum touchait à Carlsbourg ; il était à la fois colonie et municipe. En remontant au nord-est la rive droite du Maros, on gagnait à travers des champs ouverts Patavissa, située vers le bourg actuel de Radnot. C’était l’établissement fondé par Sévère. Il y a quelque incertitude sur Napoca, que d’Anville cherche dans le village et sous le nom de Dapoca, près de Clausembourg, et Mannert un peu plus à l’est, à Maros-Vasarhely, non sans une grande vraisemblance, trois voies romaines aboutissant à cette bourgade. Le dernier des établissemens, Parolissum, dominait les défilés de la Moldavie vers le Pas-de-Ghèmès, et commandait la vallée de la Bistritza et du Sereth. En dehors de l’enceinte, des citadelles, Ulpianuin, Doricava, Rhucconium, veillaient en sentinelles perdues sur l’extrême nord de la province.

Telle était la ceinture que formaient les colonies sur le plateau

  1. Neigebaur, Beschreibung der Moldau und Walachei, p 95. — Notions statistiques sur la Moldavie, p. 2, Jassy 1830.