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— Vous m’attribuez trop aisément une idée déraisonnable. Je dirai que l’un de ces peuples a prêté sa langue aux autres.

— Vous supposez donc une communication directe entre eux ?

— Sans doute.

— De grâce, n’oubliez pas qu’aucune communication suivie, depuis les temps modernes, n’a eu lieu entre les Roumains et l’Occident.

— Qu’importe ? ils se sont connus un jour.

— Cela est-il absolument nécessaire ?

— Il faut au moins qu’ils aient eu le même berceau.

— Laissez la les termes poétiques, et parlez tout uniment. Qu’entendez-vous par ce berceau ?

— Je veux dire qu’avant de se répandre en Espagne, en France, en Portugal, ces peuples ont dû recueillir d’une même source les élémens communs de leur langue.

— Et où supposez-vous que les Roumains aient trouvé cette source ?

— Belle question ! Il est bien clair que les Roumains ont reçu leur langue des colons et des vétérans latins.

— C’est donc à dire qu’ils ont puisé dans la langue vulgaire, populaire de Rome ?

— Cela est certain.

— Concluez donc.

— Je le veux bien. La conclusion vient d’elle-même. Vous m’avez amené à décider que dès le temps de la séparation de la Dacie d’avec l’Occident, les formes élémentaires de nos langues existaient, et que l’Italie, la France, l’Espagne, la Roumanie, après avoir puisé dans un milieu commun, avaient commencé dès-lors à ébaucher les idiomes qui sont aujourd’hui les leurs. Mais à quoi bon tout cela ? Était-ce la peine de le démontrer ? Entre nous, il y a longtemps que j’avais pensé et dit les mêmes choses, sans les écrire. D’ailleurs j’ai tant d’affaires !

Le lecteur trouvera peut-être que j’ai trop beau jeu en faisant plus longtemps moi-même la question et la réponse. Je me hâte de rentrer dans mon rôle. Tout ce que j’ai voulu a été de suivre, au risque d’épuiser l’évidence, la méthode employée dans les sciences pour trouver et démontrer en même temps une vérité. Il reste, pour rendre la conclusion plus complète, à préciser les dates. Or rien n’est plus aisé. C’est en l’année 105 de notre ère que les colonies ont été fondées par Trajan. C’est en 274 qu’Aurélien a abandonné aux Barbares la rive gauche du Danube. Voilà un intervalle parfaitement défini. Depuis ce moment, les légions romaines n’ont pour ainsi dire plus reparu au-delà du fleuve. Ainsi cette petite société, projetée du monde romain au commencement du IIe siècle, en a été