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Eschyle et Sophocle se contentent de quelques traits, et n’expulsent jamais le sentiment qu’ils veulent exprimer. Ils en accusent les contours par un petit nombre de lignes précises, et laissent au lecteur le soin d’achever par lui même ce qu’ils ont indiqué. Si Euripide procède autrement, s’il insiste, sur sa pensée, c’est qu’il appartient déjà malgré son génie, à la décadence de la poésie grecque. Je voudrais dans le poème de Psyché plus de concision et de sobriété, non pas seulement parce que la concision et la sobriété me plaisent, mais encore, et surtout parce que ces deux qualités si précieuses caractérisent la poésie grecque du bon temps. Dans un tel sujet, la sobriété du style était un mérite de première nécessité.

Dans le second recueil de M. de Laprade, publié trois ans après le poème de Psyché, il y a trois pièces qui méritent une attention spéciale et qui révèlent chez lui un progrès éclatant : Alma parens, la Mort d’un chêne et les Adieux sur la montagne. Chacune de ces trois pièces se recommande à l’admiration et à la sympathie de tous les esprits élevés par la gravité des pensées par le choix des images par la clarté constante du langage. Il est évident que l’auteur comprenait dès lors la nécessité de produire ses conceptions sous une forme plus précise. Je retrouve dans Alma parens les qualités que nous révélait déjà le poème de Psyché, mais la manière de l’auteur s’est agrandie. S’il n’abandonne pas complètement sa prédilection instinctive pour la doctrine de Spinoza, il en modère l’expression, et l’homme reprend toute l’importance qui lui appartient en face de la nature. De grandes pensées noblement, simplement exprimées, donnent aux trois pièces que j’ai citées un caractère d’originalité qu’on chercherait vainement dans le plus grand nombre des compositions contemporaines ; Alma parens est un hymne à la solitude, mais un hymne sincère, dont toutes les strophes traduisent un sentiment vrai » Il n’y a pas une ligne qui ne respire la conviction et n’émeuve profondément le lecteur. Le poète s’enfuit loin des villes et gravit les cimes neigeuses des montagnes pour converser plus librement avec lui même et sonder les plaies de son cœur. Il s’enivre d’abord de l’air, pur et vivifiant des hautes cimes ; puis bientôt, saisi d’une soudaine tristesse, il comprend le danger de la solitude absolue, il se rappelle la parole du prophète : Vœ soli, et il s’efforce de sonder les misères de sa condition. La solitude, qui l’enivrait d’abord, qui exaltait son orgueil, lui apparaît dans toute sa nudité. Fouler d’un pied hardi la neige qu’aucun pied n’a foulée, mesurer d’un œil tranquille les abîmes ouverts dans les glaciers, c’est la une joie qui s’épuise bien vite. Pour jouir pleinement du spectacle de la nature ; il n’est pas bon que l’homme soit seul » Qu’il respire la senteur des prés, qu’il baigne ses regards dans l’ombre des forêts, ou qu’il s’endorme sur la mousse, il lui faut un cœur ami où s’épanche son émotion.