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en scène. L’échange des aveux, le premier enivrement d’une mutuelle possession, les heures désenchantées après les heures ardentes, la satiété après l’extase, offraient à M. de Laprade l’occasion de montrer sous une forme dramatique et vivante tout ce qu’il sait, tout ce qu’il a senti. Quoiqu’Adah nous intéresse et nous émeuve, l’émotion serait encore plus puissante et plus profonde, si nous avions devant nous l’homme qui a cueilli sa virginité, qui l’a dominée du feu de son regard, qu’elle a aimé d’un amour infini, et qui pour salaire ne lui laisse que des regrets.

Quand Adah se tait, c’est la nature qui parle de sa jeunesse, de sa beauté, de sa splendeur joyeuse, de sa mystérieuse tristesse. Malgré la grâce et la grandeur qui recommandent tour à tour les pages où la voix humaine est remplacée par le chant des oiseaux ou la plainte des chênes dépouillés, je préfère la partie purement humaine, car c’est la seule qui présente à l’intelligence une suite de pensées facile à saisir. Je sais bien que pour peindre les saisons il faut faire appel à tous les bruits, à toutes les couleurs qui expriment la vie des plantes ; mais la parole donnée aux fleurs et aux forêts ne me semble pas une heureuse invention. Ainsi, tout en admirant la Symphonie des Saisons, où se révèle un talent plein de grandeur et de délicatesse, je crois que l’auteur n’a pas réalisé sa pensée. Il voulait nous montrer les aspects variés de la nature, il n’a réussi qu’à nous montrer la jeunesse, la maturité, la vieillesse du cœur. En prêtant à la rose, au rossignol, les espérances et les regrets de l’âme humaine, il n’a pas agrandi son sujet, il l’a transformé, si bien que nous avons peine à le suivre. Le printemps et l’été, l’automne et l’hiver, ne sont plus pour nous des sources d’émotions, mais des personnages qui expriment pour leur compte, en leur nom, les sentimens de notre cœur. Au milieu de ces voix, que devient le rôle humain ? Se réjouir ou s’attrister en face de la nature semble désormais inutile. Les oiseaux et les fleurs se chargent de traduire nos pensées. L’éclat de leur plumage ou de leur corolle n’est plus pour nous un sujet de rêverie, puisqu’ils rêvent comme nous. Je ne voudrais pas me montrer trop sévère, et pourtant je suis forcé de dire que M. de Laprade, dans les chants ingénieux qu’il prête à la rose, au rossignol, n’a pas toujours évité la puérilité. Pouvait il se dérober à ce danger ? N’était il pas condamné fatalement à commettre la faute que je signale ? C’est une question délicate dont la solution embarrasserait l’esprit le plus pénétrant. Ce qui demeure évident pour moi, c’est que le poète eût agi plus sagement en traitant la donnée qu’il avait choisie, — la peinture des saisons, — selon la méthode consacrée par les maîtres de l’antiquité, par les maîtres modernes, c’est à dire en ne donnant pas aux choses un rôle aussi important que le rôle humain. Qu’il cherche dans le spectacle de la