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en stances. Dans la strophe composée de vers octosyllabiques ou heptasyllabiques, la rime plate ne peut être acceptée. Cette remarque technique n’est pas aussi futile qu’on pourrait le croire. Puisqu’il s’agit pour le poète d’arriver au cœur en charmant l’oreille, tout ce qui aide au succès de son entreprise mérite de sa part une sérieuse attention. L’arrangement des mots n’est pas la poésie : toutes les fois qu’on s’est mépris à cet égard, la poésie est devenue un jeu d’enfant ; mais c’est pour le poète le plus heureusement inspiré un auxiliaire puissant comme pour le peintre le choix des couleurs. Négliger le choix des rimes, les prendre comme elles viennent, traiter avec dédain le rapprochement ou l’éloignement des sons qui se ressemblent, est une imprudence dont le poète ne tarde pas à se repentir. Ainsi, dans la Symphonie des Morts, plus d’une page n’obtient pas la sympathie qu’elle mérite, parce que l’auteur n’a pas songé à charmer l’oreille. Il suffirait de changer la condition musicale de sa pensée pour en doubler non pas la valeur intellectuelle, mais la valeur poétique. Il y a dans la Symphonie des Morts tout ce qu’il faut pour émouvoir, pour évoquer de touchans souvenirs : la forme seule n’est pas traitée avec un soin assez scrupuleux.

De toutes les symphonies poétiques de M. de Laprade, celle qui respire le plus ardent amour de la solitude est certainement la Symphonie alpestre. C’est là, je crois, qu’il faut chercher la pensée intime de l’auteur. Il savoure avec une indicible joie l’air pur des montagnes, et songe avec un orgueil sauvage que personne encore n’a gravi les cimes d’où il découvre les collines et les vallées habitées par la race humaine. Si l’on acceptait dans leur sens littéral tous les sentimens exprimés dans cette symphonie, si l’on ne faisait pas la part de l’exaltation particulière à certains momens de la tristesse, tous les esprits élevés s’empresseraient de déserter les villes, car M. de Laprade ne voit dans les villes que souillure et corruption. Heureusement cette prédication en faveur de la solitude trouvera plus d’une oreille incrédule. Si elle se popularisait, le développement de la civilisation s’arrêterait dès demain. Abstraction faite de cette réserve morale, je reconnais dans la Symphonie alpestre un accent de sincérité qui ne permet pas le sourire. Si je n’accepte pas les chamois comme les compagnons les plus aimables de la création, je suis disposé à croire que leur société n’est pas sans charme, pourvu qu’on n’en abuse pas. Si la vie tout entière ne doit pas se dépenser dans la solitude, il n’est pas mauvais pourtant que l’homme demeure seul avec sa pensée pendant quelques jours, parfois même pendant quelques semaines, qu’il se retrempe et se rajeunisse dans le spectacle des montagnes, dans l’atmosphère des glaciers. Quand il a vécu de cette vie active, quand il a pu s’interroger, quand, à l’abri de toute distraction mondaine, il s’est plongé à loisir dans la