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s’abaisse, et, par une sorte de progrès fatal, il se forme un milieu vague et indéfinissable où tout s’imprime, parce que le public accepte tout ce qu’on lui offre, où les courtisanes ont écrit aussi leurs mémoires, et où s’affaiblit la notion des lois de l’intelligence aussi bien que la notion des choses morales. Que faudrait-il donc pour raviver ces notions, relever l’empire de ces lois et rendre aux influences intellectuelles la place qui leur est due au milieu du mouvement de la civilisation contemporaine ? Ainsi que nous le disions, ce n’est point le talent qui manque (jamais peut-être, à un certain point de vue, il n’y en eut davantage), c’est plutôt une direction, c’est trop souvent aussi par malheur un sentiment énergique de la dignité de l’esprit et cette forte discipline du travail et de la méditation qui retrempe les intelligences. C’est surtout aujourd’hui pour les esprits qui se forment et s’élèvent qu’il y aurait un effort nouveau à tenter. Ils viennent dans un temps où il y aurait à renouer de grandes et vigoureuses traditions. Ils ont sous les yeux les excès et les déviations de tant de talens qui trouvent une irrémédiable décadence au milieu d’une carrière plus agitée que féconde. Ils peuvent voir où conduisent les idées fausses ou chimériques dans tous les genres, soit qu’elles prétendent refondre la société, soit qu’elles visent à faire des philosophies nouvelles, soit qu’elles aient l’ambition de créer un art littéraire indépendant de toute loi morale. Le spectacle de notre siècle est la plus éloquente leçon en faveur des pures et sévères traditions de l’intelligence, celles dont tous les esprits Justes doivent s’efforcer de maintenir le lustre, de même que dans la politique tous les efforts doivent se réunir pour faire prévaloir l’ascendant tutélaire du droit et des principes qui sont la sauvegarde des peuples.

La politique de l’Europe se montre sous plus d’un aspect. Pendant que tous les yeux se tournent de plus en plus vers la Baltique et les états qui l’environnent dans la prévision d’une lutte redoutable, une négociation d’un caractère essentiellement pacifique, comme les intérêts qui l’ont provoquée, s’ouvre à Copenhague avec les principales puissances, y compris la Russie elle-même, riveraines ou étrangères, qu’affectent les conditions du commerce maritime dans cette profonde méditerranée du Nord. On sait que l’objet de ces conférences est de préparer, s’il est possible, une solution satisfaisante des difficultés auxquelles la perception des droits connus sous le nom de péage du Sund, et levés pour ainsi dire de temps immémorial par le Danemark, a donné lieu dans ces dernières années ; mais, par une singularité très caractéristique du système américain, le gouvernement des États-Unis, qui a soulevé cette question assez intempestivement, il faut l’avouer, et qui a forcé le Danemark à s’en occuper avec les puissances intéressées, a refusé de se faire représenter dans la conférence, et s’en tient à la résolution qu’il a plusieurs fois annoncée, de considérer le péage du Sund et des Belts comme n’existant plus pour son pavillon à partir du 26 avril de cette année, date de l’expiration de son traité avec le Danemark. Pour justifier son abstention, le cabinet de Washington allègue que, niant formellement le droit en principe, il ne peut logiquement acquiescer à aucune des combinaisons de rachat ou d’indemnité qui paraissent être, au moins dans la pensée du gouvernement danois, le véritable objet des négociations