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EMINA
RÉCITS TURCO-ASIATIQUES

I.


Dans une des innombrables vallées de l’Asie-Mineure vivait, il y a quelques années, une pauvre famille turque. Le chef avait épousé au sortir de l’enfance une petite fille qui, n’étant pas si pressée, folâtrait encore, accroupie sur les cendres du foyer domestique. Cette verte jeunesse devint bientôt une ruine précoce, une vieille de vingt ans, jaune, ridée, édentée, mère de deux enfans dont elle ne devait pas voir l’adolescence. Elle mourut au bout de cinq ou six ans de martyre conjugal, laissant son seigneur et maître assez triste, mais surtout embarrassé de son veuvage. Cette sorte d’embarras ne se prolonge pourtant guère en Orient, où le célibat est rangé parmi les choses impossibles. À peine la défunte fut-elle enterrée, que le bonhomme Hassan reçut plusieurs propositions, et qu’il s’occupa sérieusement d’un nouveau choix. Les Turcs ont si peu l’habitude de voir les femmes, que leur visage est devenu pour eux une affaire de très peu d’importance. En dépit de la coutume qui permet aux filles de montrer leur visage, l’homme à la recherche d’une compagne ne s’en inquiète guère, et s’en remet, soit à ses parens, soit à ses amis, du soin de choisir pour lui. Ainsi fit Hassan, qui savait d’ailleurs par expérience ce que durent les roses et les lis au train de la vie domestique. — Je veux une femme bien portante, disait-il à ses amis, et si elle m’apportait quelques centaines de piastres, cela ne gâterait rien. — Quelques centaines de piastres ! cela ne se trouve pas sous le pas d’un cheval, lui répondait-on, et si tu rencontres une