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De raisonnement en raisonnement, Emina en était arrivée à la croyance dans une vie future et éternelle composée de récompenses et de bonheur pour les bons, et d’abandon sinon de châtimens pour les pervers. N’oubliez pas de grâce qu’Emina est femme et Turque, qu’on ne lui a rien enseigné de la religion, des devoirs qu’elle impose, ni des vertus qu’elle inspire, car s’il est faux que Mahomet ait explicitement refusé une âme aux femmes, toujours est-il qu’il a dédaigné de s’expliquer à ce sujet, d’où ses sectateurs ont conclu qu’il n’avait rien à en dire.

II.

J’ai dit qu’Emina rencontrait parfois dans la montagne d’autres enfans isolés comme elle, comme elle consacrés à la garde des troupeaux. Parmi ces enfans, il en était un pâle et chétif qui la recherchait plus que les autres, et auquel, sans s’en douter, elle avait déjà sauvé la vie par ses médicamens. Plus âgé qu’elle d’un an et fils d’un habitant du village où la belle-mère d’Emina était née, cet enfant, qui s’appelait Saed et qui gardait les chèvres de son père, avait une jolie figure, quoique faible et souffreteux. Un jour Emina l’avait trouvé étendu au pied d’un arbre, grelottant la fièvre et si abattu qu’à peine s’était-il aperçu de sa présence. — Saed, lui avait-elle dit, que fais-tu là et où souffres-tu ? — Je ne puis atteindre cette branche, avait répondu l’enfant en proie aux rêvasseries de la fièvre, et pourtant elle effleure mon visage, et je sais qu’elle porte un fruit qui apaiserait ma soif. — Emina leva les yeux, vit que l’arbre était un chêne, et que la branche la plus rapprochée du visage de l’enfant était encore à plus de quinze pieds au-dessus de sa tête. — Il ne sait ce qu’il dit, pensa-t-elle, et cela doit tenir à son mal. — Elle courut aussitôt à la source voisine et en rapporta de l’eau bien fraîche qu’elle versa goutte à goutte sur les lèvres brûlantes et desséchées du petit malade en lui disant : — Tiens et bois ; ceci te soulagera. — Puis elle examina la peau, les yeux, le teint, le son de voix du pauvre enfant, réfléchit quelque peu, et, prenant son parti, elle tira d’une espèce de sac dont elle avait fait sa pharmacie des boulettes d’un extrait qui pouvaient à la rigueur passer pour des pilules, et qu’elle plaça sur la langue de Saed. S’asseyant ensuite près de lui, elle lui prit la main, posa sa tête appesantie et douloureuse sur ses genoux, et attendit patiemment l’effet du remède.

Pendant le reste du jour, la nuit suivante et une partie du lendemain, elle ne quitta son poste que pour aller chercher l’eau fraîche que le malade demandait sans cesse. Au bout de ce temps, le rideau qui paraissait tiré sur les prunelles de Saed se souleva, et la communication suspendue entre l’esprit du dedans et son organe exté-