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six printemps. Il avait donc fait preuve d’une longanimité admirable, et il devenait urgent pour lui de s’unir à une autre femme, qui, plus jeune et plus robuste, pût compléter sans retard ni interruption sa douzaine d’héritiers.

Le contrat de mariage ou de vente entre Hassana et Hamid-Bey fut bientôt signé, et les parties contractantes se séparèrent fort satisfaites l’une de l’autre, tout en se promettant in petto de se duper réciproquement et de toute leur finesse lors de la mise à exécution des stipulations pécuniaires.

Il faut maintenant faire connaissance avec Hamid-Bey. Il était à peu près du même âge qu’Hassana, qui passait, lui, pour un vieillard ; mais le riche étant toujours d’une dizaine d’années plus jeune que le pauvre, Hamid-Bey tenait encore sa place parmi les jeunes gens. D’une taille un peu au-dessus de la moyenne et bien prise, la vigueur de ses formes nuisait pourtant à leur élégance, et un observateur un peu attentif y eût découvert tout d’abord des menaces d’obésité. Son visage était plutôt rond qu’ovale, et son teint parlait tout haut des ardeurs du soleil d’Asie. Ses yeux noirs, très grands et à fleur de tête, souriaient tantôt avec la voluptueuse douceur d’un mangeur d’opium, tantôt ils s’allumaient du sombre feu du Tartare. Il avait le nez fin, bien modelé, aussi éloigné du type grec que du romain ; sa bouche, grande, bien découpée, aux lèvres un peu épaisses, mettait à découvert des dents longues et aiguës d’une blancheur sans tache. Une moustache bien tenue ombrageait seule ce beau visage, qui paraissait dédaigner l’ornement réputé indispensable d’une longue barbe : tel était l’époux que l’on préparait à Emina, tel était le seigneur et le maître auquel on allait livrer cette créature naïve et inculte, ce corps accoutumé à un exercice constant et au grand air, cette âme fière, forte et contemplative.

Hassana eut quelque peine à lui faire comprendre et accepter sa nouvelle position. — Je t’ai mariée, Emina, — lui dit-il un jour qu’elle revenait de la montagne. La première pensée d’Emina fut que Saed s’était expliqué avec son père, et que ce mariage, auquel elle n’avait pas encore réfléchi bien sérieusement, allait véritablement avoir lieu. — Nous avions le temps d’attendre, lui répondit-elle ; mais, puisque ce mariage vous convient et que Saed est si pressé, je le…

— Saed ? Quel rapport y a-t-il entre Saed et ton mariage ? Réponds vite, parleras-tu ?

— Je croyais, mon père, que vous parliez de mon mariage avec Saed. Qui donc songe à moi, si ce n’est lui ?

— Celui qui t’a demandé en mariage est bien un autre personnage que ce petit idiot de Saed ! Ce n’est rien moins qu’Hamid-Bey.

— Hamid-Bey ! Vous plaisantez, mon père.