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— Emina est une bonne fille, disait-elle par exemple, et elle n’a que de bons sentimens envers mes enfans ; mais je voudrais qu’elle s’abstînt de tenir toute sorte de propos étranges aux deux plus jeunes, qui sont devenus indomptables depuis qu’elle s’en occupe. — Et Hamid répondait qu’en effet Emina devait laisser les deux enfans sous la direction de leur mère, et qu’elle avait grand tort de se mêler de leur éducation. La négresse avait-elle cassé une tasse ou un verre en cristal (sortes d’accidens auxquels Hamid se montrait plus sensible qu’on n’était en droit de l’attendre), Ansha remarquait tout simplement que depuis l’avènement d’Emina la négresse empirait de jour en jour, assurée qu’elle se sentait de la protection de sa jeune maîtresse. — J’hésite maintenant, ajoutait-elle, à me mêler du gouvernement du harem, car je m’aperçois qu’Emina prétend l’exercer exclusivement, et pour rien au monde je ne voudrais lui déplaire ; mais il me semble, seigneur, que tu étais satisfait de la manière dont ta maison était tenue lorsque le soin m’en était confié, et je voudrais, dans ton seul intérêt, que les choses marchassent comme par le passé sous la nouvelle dame du logis. — Hamid s’empressait alors de l’assurer qu’il n’avait jamais songé à la dépouiller d’une autorité qu’elle exerçait avec tant de supériorité, et la suppliait de défendre ses droits contre la nouvelle venue. Y avait-il une tache sur un coussin de l’ottomane ou un accroc aux rideaux des fenêtres, c’était Emina qui avait versé une tasse de café sur le coussin ou arraché le rideau en ouvrant brusquement la fenêtre. Un cheval était-il fourbu, Emina aimait tant à galoper ! En un mot, tout accident fâcheux, toute révolte intérieure, tout dommage, tout dégât était le fait d’Emina.

Il ne faudrait pas croire, en jugeant les mœurs orientales d’après les mœurs européennes, qu’Ansha se flattât un seul moment d’attirer sur sa jeune rivale la mauvaise humeur et les mauvais traitemens du seigneur Hamid. Il n’y a peut-être pas un seul Turc qui se permette de maltraiter une femme, et je connais des femmes de toutes les classes de la société musulmane qui tirent leurs maris par la barbe sans que ceux-ci usent de représailles sur la chevelure de celles-là. On pourrait remplir un volume d’anecdotes curieuses qui témoigneraient du respect et de la condescendance du sexe fort envers le sexe faible : je n’en rapporterai que deux. Pendant que j’étais à Constantinople, le gouvernement de la Sublime-Porte imagina de reléguer les femmes de mauvaise vie dans un vaste édifice où les amateurs chrétiens étaient invités à aller faire leur choix, à la condition qu’avant d’emmener l’une des recluses, l’acquéreur déposerait une légère somme et s’engagerait à garder son acquisition au moins pendant quelques mois. Tout avait été prévu par la loi, et le loge-