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tueux, qu’ils se persuadent que la Chine est tout ce qu’il y a de plus beau dans toute la terre, et ils sont bien étonnés quand ils voient nos mappemondes, où leur pays paraît si petit en comparaison du reste de la terre. Ils en usent bien autrement, car en leurs cartes ils dépeignent le monde carré, mettent la Chine au milieu (aussi l’appellent-ils Chon-Choc, qui veut dire royaume du milieu), peignent la mer au-dessous, en laquelle ils sèment quelques petites îles ; l’une est l’Europe, l’autre l’Afrique, l’autre le Japon ; en quoi nous leur avons bien fait voir qu’ils étaient bien moins savans que nous. » Voici un autre voyageur qui, en 1716, écrivait dans le même sens ; c’est Le Gentil, auteur d’un Nouveau voyage autour du Monde : « L’empereur Kamhi a tout l’orgueil et le faste des princes asiatiques. Sa vanité ne peut souffrir que dans les cartes géographiques on ne mette pas son empire dans le centre du monde, et quoique, par les conversations fréquentes qu’il a eues avec nos missionnaires les plus habiles, il soit bien convaincu que ses états ne sont non-seulement pas situés dans le centre du monde, comme tous ses prédécesseurs l’ont prétendu, mais encore qu’ils ne font qu’une très petite partie de ce monde, il s’obstine par un trait de politique, où l’orgueil a beaucoup de part, à vouloir que, dans les cartes qu’on dresse par son ordre, on mette la Chine et les états qui en dépendent au centre du monde. Il fallut même autrefois que le père Mathieu Ricci, dans la carte chinoise du monde, qu’il dressa à Pékin, renversât l’ordre pour plaire à l’empereur et pour se conformer à ses idées. » Il serait facile de citer d’autres autorités ; mais pourquoi cette opinion serait-elle si ridicule ? L’ignorance des Chinois, en fait de géographie, éclate de la façon la plus grotesque sur les cartes les plus modernes. Il n’est personne qui ne connaisse ces charmans dessins qui représentent la mappemonde en usage à Canton. Les géographes du Céleste Empire sont de véritables fantaisistes ; leurs produits méritent de figurer, et figurent en effet, parmi les curiosités que les touristes rapportent d’un voyage en Chine. Les jésuites mêmes, comme on l’a vu dans le passage extrait de la narration de Le Gentil, auraient quelque peu sacrifié aux manies orgueilleuses de l’empereur Kanghi, pensant qu’après tout la concession était assez innocente. Le père de Rhodes affirme, de son côté, que les jésuites ont rectifié les idées erronées qui avaient cours à Pékin sur la situation de l’Empire du Milieu ; mais peu importent ces contradictions, qui n’incriminent la bonne foi de personne. Ce que j’ai tenu surtout à établir, c’est que l’opinion vulgaire, au sujet du titre que prend la Chine, peut être maintenue, n’en déplaise à Klaproth et au père Huc !

À l’époque où le père de Rhodes visitait la Chine, le thé était à peine connu en Europe ; on le vendait à Paris 30 francs la livre, et