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LA PETITE COMTESSE.

que l’approche de l’hiver lui ramène presque invariablement chaque année, tu le sais. Patience donc, et courage, je t’en prie.

Il me faut, mon ami, l’expression formelle de ton désir pour que j’ose mêler mes petites misères à tes sérieuses sollicitudes. — Comme tu le prévoyais dans ta sagesse et dans ta bonne amitié, je devais avoir besoin, quand je recevrais ta lettre, non de conseils, mais de consolations. Je n’ai pas le cœur tranquille, et, ce qui est pire pour moi, ma conscience ne l’est pas davantage : cependant j’ai cru faire mon devoir. L’ai-je bien ou mal compris ? Tu en jugeras. Mon Dieu ! je porte quelquefois une stupide envie à ceux que je vois céder sans scrupule, sans combat, avec le pur instinct de la brute, à ce qui les attire ou à ce qui les repousse ! Que de tourmens donne la conscience à une âme naturellement honnête, qui n’est point guidée par des principes certains et soutenue par une foi positive !

Je reprends ma situation vis-à-vis de Mme  de Palme où je l’avais laissée dans ma dernière lettre. — Le lendemain de notre explication, je mis tous mes soins à maintenir nos relations sur le pied de bonne camaraderie où elles me paraissaient établies, et qui constituaient, selon moi, le seul genre d’intelligence qui fût désirable, et même possible entre nous. Il me sembla ce jour-là qu’elle se montrait animée de la même vivacité et du même entrain qu’à l’ordinaire : seulement je crus remarquer que son regard et sa voix, lorsqu’elle s’adressait à moi, prenaient une douceur sérieuse qui n’est point de son caractère habituel ; mais les jours suivans, quoique je n’eusse point dévié de la ligne de conduite que je m’étais tracée, il me fut impossible de ne pas m’apercevoir que Mme  de Palme avait perdu quelque chose de sa gaieté, et qu’une vague préoccupation altérait la sérénité de son front. Je la voyais étonner ses danseurs par ses distractions : elle continuait de suivre le tourbillon, mais elle ne le dirigeait plus. Elle prétextait brusquement de la fatigue au milieu d’une valse, quittait sans autre cérémonie le bras de son cavalier, et s’asseyait dans un coin d’un air boudeur et pensif. S’il y avait un fauteuil vide près du mien, elle s’y jetait, et commençait à travers son éventail une conversation bizarre et à bâtons rompus, comme celle-ci :

— Si je ne puis me faire ermite, je puis me faire religieuse… Que diriez-vous, si vous me voyiez demain entrer dans un couvent ?

— Je dirais que vous en sortiriez après-demain.

— Vous n’avez aucune confiance dans mes résolutions ?

— Quand elles sont folles, non.

— Je ne puis en concevoir que de folles, selon vous ?

— Selon moi, vous valsez à merveille. Quand on valse comme vous, c’est un art, et presque une vertu.

— Est-ce qu’on flatte ses amis ?