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bienfaisance ; mais ce palliatif contribue à aggraver le mal en affaiblissant l’énergie morale de la population. En revanche, le chiffonnier parisien que M. Le Play a choisi jouit d’une certaine aisance et même d’une certaine élévation intellectuelle qui se manifeste par le goût de lectures religieuses. Quant au maître blanchisseur de la banlieue de Paris, ce n’est pas à proprement parler un ouvrier, mais un chef de métier, ayant près de 5,000 fr. de revenu et en épargnant 2,000, ce qui lui a déjà fait un petit capital de 16,000 fr. « L’amour du travail et la moralité ne sont pas développés au même degré, dit M. Le Play, dans toutes les familles de blanchisseurs parisiens ; cependant on peut admettre que sur cent, vingt-cinq environ obtiennent le même succès, cinquante se maintiennent dans l’aisance sans arriver à la propriété, vingt-cinq seulement s’endettent. La classe des maraîchers offre des types supérieurs en plus grand nombre ; soixante au moins sur cent arrivent à la propriété. »

Le maréchal ferrant et propriétaire cultivateur du canton de Mamers (Sarthe) participe de l’ouvrier urbain et du cultivateur. Il présente un contraste consolant avec le tisserand du même pays. Bien qu’il ait commencé comme domestique, il possède une maison de 1,500 fr., un petit jardin, un champ de 80 ares qu’il cultive lui-même, un mobilier agricole et industriel de 1,400 fr., un mobilier personnel de 800, le tout provenant de ses économies. Bien qu’il ait quatre enfans et un aide qu’il nourrit, il fait 300 fr. d’épargnes par an, et vit convenablement avec le reste. Les deux autres familles intermédiaires offrent peu d’intérêt.

Viennent maintenant les familles purement rurales. Quatre sur cinq sont dans une condition presque misérable ; c’est un journalier agriculteur du Morvan, un journalier agriculteur du Maine, un journalier des vignobles de l’Armagnac et un journalier de la Basse-Bretagne ; le dernier, qui a femme et enfans, ne gagne dans son année que 461 francs. Le propriétaire cultivateur du Soissonnais est plus heureux ; on peut le considérer comme le type du très petit propriétaire français ; il possède une maison d’habitation avec une étable, un petit jardin et un champ de 25 ares ; il ne mange de la viande que deux fois par an, mais il se nourrit suffisamment, avec sa femme et ses trois enfans, de pain mêlé de froment et de seigle, et au bout de l’année il a mis de côté 200 francs. Son revenu total s’élève environ à 1,000 francs. Ajoutons, pour être tout à fait dans le vrai, que l’auteur aurait pu trouver sur d’autres points de la France, en Normandie par exemple, d’autres types tout aussi satisfaisans que celui-là.

On peut reprocher à ces observations d’être un peu anciennes ; peu importe au fond. À part les exagérations probables signalées dans quelques-unes, la plupart nous paraissent assez exactes. Il est