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LA PETITE COMTESSE.

ma réserve ne fût de bon aloi et de bonne foi : j’avais pour système d’éloigner autant que possible Mme de Palme, sans la blesser jamais. Maintenant encore je ne saurais concevoir quelle meilleure conduite j’aurais pu tenir, quoique celle-là n’ait pas eu le succès que je m’en étais promis. Si j’avais à subir sur ce fait un autre jugement que le tien, je pourrais dire, pour ma défense, qu’il m’a fallu quelquefois un effort de courage méritoire, non pour repousser la pauvre gloriole que le monde attache à l’espèce de triomphe qui semblait m’être offert, mais pour comprimer les mouvemens secrets que le charme, la grâce et la bienveillance de cette jeune femme soulevaient dans un cœur moins ferme que mon esprit.

J’arrive à la scène qui devait terminer cette lutte pénible, et m’en prouver malheureusement toute la vanité. — Pour faire leurs adieux à leur fille, dont le mari est rappelé à son poste. M. et Mme de Malouet donnaient hier un grand bal de gala, auquel tous les environs à dix lieues à la ronde avaient été convoqués. Vers dix heures, la foule inondait l’immense rez-de-chaussée du château, où les toilettes, les lumières et les fleurs se confondaient dans un pêle-mêle éblouissant. — Comme j’essayais de pénétrer dans le salon principal, je me trouvai vis-à-vis de Mme de Malouet, qui me tira un peu à l’écart : — Eh bien ! mon cher monsieur, me dit-elle, cela va mal. — Mon Dieu ! qu’y a-t-il de nouveau ? — Je ne sais trop, mais soyez sur vos gardes. Ah ! cela ne va pas bien… Mon Dieu ! j’ai en vous une confiance bien singulière, monsieur ; vous ne la tromperez pas, n’est-ce pas ? — Sa voix était attendrie et son regard humide. — Madame, comptez sur moi ;… mais j’aurais bien dû partir il y a huit jours. — Eh ! mon Dieu ! qui pouvait prévoir pareille chose ?… Silence !

Je me retournai et je vis Mme de Palme qui sortait du salon, et devant laquelle la cohue ouvrait ses rangs avec cet empressement craintif et cette espèce de terreur qu’inspire généralement à notre sexe la suprême élégance d’une royauté féminine. Il y a dans ces jeunes reines d’une nuit, lorsqu’elles nous apparaissent environnées de toute la pompe mondaine, et traversant d’un pied vainqueur leur empire étroit et charmant, il y a sur leur front hautain, dans leurs regards radieux et enivrés, une magie qui pénètre les âmes les plus fières. — Pour la première fois Mme de Palme me parut belle : une expression étrange et que je ne lui avais jamais vue, une vive exaltation rayonnait dans ses yeux et transfigurait ses traits.

— Suis-je à votre goût ? me dit-elle. — Je lui témoignai par je ne sais quel murmure un assentiment qui n’était d’ailleurs que trop visible pour l’œil perçant d’une femme. — Je vous cherchais, reprit-elle, pour vous faire voir la serre ; c’est une vraie féerie, venez. — Elle prit mon bras, et nous nous dirigeâmes vers la porte de la